Véronique Gens, reine de la Mélodie au Théâtre du Capitole

Xl_v_ronique_gens__accompagn_e_de_susan_manoff_ © Patrice Nin

Quoiqu’un peu solennel, le titre de grande Dame de la musique française ne peut que revenir de plein droit à la magnifique soprano Véronique Gens, tant elle défend depuis de nombreuses années le patrimoine musical de l'Hexagone. Entre deux représentations de La Force du destin de Verdi (enthousiasmante bien qu'abrégée), le Théâtre du Capitole accueillait la cantatrice en ce mercredi 26 mai dans un récital consacré à la Mélodie française, une balade dans des contrées trop rarement parcourues, un voyage dans lequel elle était accompagnée par l’exquise pianiste américaine Susan Manoff.

La soirée s’ouvre sur un cycle de trois Mélodies de Charles Gounod qui, s’il est plus connu pour ses opéras, n’en a pas moins consacré une partie de son génie à la Mélodie. Où voulez-vous aller ? nous emmène vers des contrées différentes de l’adaptation que fit Berlioz de ce poème issu de la plume de Théophile Gautier, plus proche de l’exotisme précieux des salons que d’un ailleurs romantique. Mais cette page sonne ici avec une étonnante sincérité, si ce n’est authenticité. Sans contraindre l’émission, Véronique Gens la retient discrètement pour l’exposer sous une lumière douce, légèrement poudreuse d’un soprano aux reflets mats. L’exemplaire diction de l’interprète fait le reste. Nous sentons une douce mélancolie dans cette page à l’innocence immaculée, à l’instar de Clos ta paupière, du même Gounod. Le rare Lamento d’Edmond de Polignac qui suit serre également les cœurs, mais quelle maîtrise admirable également des chromatismes, qui parent si bien une artiste aussi discrète qu’engagée. Ce sens du labeur, Henri Duparc l’incarne au plus haut point. Le compositeur était si exigeant qu’il détruisit la majeure partie de sa production. Ce choix sévère se retrouve jusque dans les textes qu’il a mis en musique, comme la verlainienne Chanson triste qui se prélasse ici entre doutes et amertume sur les lèvres de « la » Gens. On ressort tout aussi émerveillés des trois chansons nées sous la plume de Théodore Dubois, ces petits miracles d’intimité qui perlent du toucher feutré de l’accompagnement de Susan Manoff, autant que du sens inné de la prosodie dont témoigne la soprano française.

Mais avec pas moins de huit Mélodies, c’est avec celui qui fut l’intime de Marcel Proust, Reynaldo Hahn, compositeur aussi raffiné qu’encore trop méconnu, que l’on achève ce voyage dans les salons bourgeois du Second Empire et de la Troisième République. Exemple même d’une inspiration un brin datée, mais jamais plongée dans la naphtaline, Phyllis, Néère, Tyndaris et Pholoé (extraits des Etudes latines) s’écoulent d’une mythologie aux teintes pastel que n’auraient pas reniée les préraphaélites. Distinction encore dans J’ai caché dans la rose en pleur, qui contraste avec la légèreté de Trois jours de vendange, exemple remarquable de traitement de l’anecdote.
En cloture de soirée, les deux interprètes offrent deux des Fables de La Fontaine composées par Jacques Offenbach – les célébrissimes Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi – que Madame Gens mime avec un rare talent d’actrice, pour le plus grand bonheur d’un public conquis et heureux, autant par ce superbe moment de musique que tout simplement par son retour dans les salles de spectacle !

Emmanuel Andrieu

Récital de Véronique Gens (accompagnée au piano par Susan Manoff) au Théâtre du Capitole, le 26 mai 2021

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading