Le XXIVème Festival « Etoiles des nuits blanches » à Saint-Pétersbourg propose, quasiment chaque soir, avec les trois salles dont disposent désormais le Théâtre Mariinsky, trois spectacles différents. Fondé en 1993 (et dirigé depuis) par Valery Gergiev, le nom du festival fait directement référence aux légendaires nuits blanches des mois de juin et juillet, pendant lesquelles Saint-Pétersbourg ne connaît plus l'obscurité... et voit affluer un grand nombre de touristes. En ce lundi 13 mai, au concert de Cecilia Bartoli (au Mariinsky II) consacré aux musiciens ayant composé dans la capitale des Tsars (nous en avions rendu compte au Festival d'été de Gstaad l'an passé), nous avons préféré entendre, sur la scène historique du Mariinsky I, l'un des joyaux de la littérature lyrique russe : Iolanta de Piotr Ilitch Tchaïkovsky. Iolanta fut créée ici-même, au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, en décembre 1892, le même soir que son célèbre ballet Casse-noisette. Le livret, écrit par le propre frère du compositeur, Modeste Tchaïkovsky, s’inspire d’une pièce du dramaturge danois Henryk Hertz, La Fille du Roi René (1853). Il conte l’histoire, dans la Provence du XVIème siècle, de la belle Iolanta, née aveugle, élevée à l’abri du monde, son père lui ayant caché la vérité sur sa cécité ainsi que sur la réalité qui l’entoure. In fine, elle parvient à recouvrer la vue grâce à l’amour d’un preux chevalier. Cet opéra en un acte est une œuvre courte (une heure trente de musique) dans laquelle se succèdent neuf scènes fort inspirées quant à la veine mélodique : les principaux protagonistes ont tous un grand air à chanter et des ensembles particulièrement soignés et raffinés viennent émailler l’ouvrage.
Créée à l'occasion de l'inauguration du Marrinsky II en mai 2013, la production est signée par Mariusz Trelinski, directeur du célèbre Théâtre Wielki de Varsovie (où nous nous rendrons bientôt pour ces colonnes...). L'homme de théâtre polonais transpose l'action de la Provence médiévale à un chalet de montagne à l'époque contemporaine, dans lequel la princesse aveugle est gardée - dans sa chambre tapissée de bois de cerfs - par une armada de garde-malades, vêtues en robe noire et petit tablier blanc. En tenue sportive, Vaudémont et son ami Robert tombent par hasard sur la maison, après s'être égarés de leur piste de ski de fond. Un discret recours à la projection vidéo et une direction d'acteurs assez fluide font bien passer l'ensemble, qui repose néanmoins beaucoup sur l'engagement des protagonistes.
Cent pour cent russe, et entièrement issue de l’illustre théâtre, c’est une distribution de haut vol qui défend cette superbe partition, plus rarement jouée sous nos latitudes, même si l'Opéra de Paris ainsi que celui de Lyon l'ont récemment mise à leur affiche. Dans une forme éblouissante, Gelena Gaskarova offre au rôle-titre sa voix ample et lyrique, aussi touchante dans son air d'entrée, éminemment mélancolique, que dans les grandes envolées passionnées qui suivent. C’est un triomphe à peine moins retentissant que récolte la jeune basse Stanislav Trofimov dans le rôle du Roi René. De fait, avec son splendide registre grave, il confère toute la noblesse et l’humanité requises par son personnage. Dans le rôle de Vaudémont, Dmitry Voropaev campe un chevalier d’une belle prestance, avec une voix saine et superbement projetée. Vladislav Sulimsky (Robert) ne lui cède en rien en termes de santé vocale et d’insolence, tandis que le métal cuivré de son timbre s’avère irrésistible. La partie de Ibn-Hakia est tenue par le célèbre baryton russe Nikolaï Putilin... qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Incapable de soutenir le moindre aigu, chantant souvent faux, nous nous surprenons à redouter chacune de ses apparitions. Quant aux trois compagnes de Iolanta, toutes s’acquittent parfaitement de leur tâche, avec une mention spéciale pour le soprano fruité de Kira Loginova.
Valery Gergiev dirigeant un concert au flambant neuf Mariinsky Concert Hall, c'est un des chefs-piliers du Mariinsky, Pavel Smelkov, qui fait sonner - avec une belle économie de gestes – le superbe Orchestre du Théâtre Mariinsky. D’une rare maîtrise, sa direction alterne avec beaucoup de bonheur moments intimistes et tutti instrumentaux impressionnants. Et n’oublions pas, pour finir, de citer également l’excellent Chœur du Théâtre Mariinsky qui se couvre de gloire lors de ses brèves apparitions.
Iolanta de Piotr Illitch Tchaïkovsky au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, le 13 juin 2016
Crédit photographique © Natasha Razina
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