Une Chauve-souris enlevée au Théâtre des Champs-Élysées

Xl_la-chauve-souris_theatre-des-champs-elysees_2023 © Paul Fourier

Marc Minkowski était à la manœuvre pour l’opérette de Johan Strauss fils. L’affaire a été rondement menée, mais avec un plateau trop disparate et pas irréprochable, et non sans quelques lourdeurs…

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Né le 25 octobre 1825, Johann Strauss II porte le même nom que son père, compositeur déjà célèbre – sa Marche de Radetzky fait encore régulièrement le bonheur des concerts de Nouvel An viennois. Cela n’empêche pas le rejeton de s’émanciper de l’ombre paternelle. Il crée alors son propre orchestre et est finalement nommé directeur de la musique aux bals de la cour. Ce sera notamment le temps du célébrissime Beau Danube bleu qui enchantera… jusqu’à Stanley Kubrick.

Cependant, en ces années 1860, un compositeur tient le haut du pavé en matière d’opérettes. Il a certes un nom aux consonances allemandes, mais officie chez l’ennemi français. Il se nomme Offenbach et ses œuvres traversent plus que de raison la frontière qui sépare les deux pays. Johan Strauss fils va donc, en quelque sorte, se charger de défendre l’honneur des Habsbourgs et, en 1874, La Chauve-Souris va marquer une étape importante dans l’histoire du genre de « l’opérette viennoise ».

L’œuvre fera ensuite le tour du monde et, au XXe siècle, s’imposera au disque avec les plus prestigieuses distributions germanophones.

Certes, le livret n’est pas sans faiblesses même s’il est efficace et drôle. Certes, le rythme est souvent endiablé, mais est aussi sensiblement ralenti par l’irruption au troisième acte de Frosch, le gardien de prison, un rôle parlé. L’œuvre a néanmoins gardé toute son efficacité et l’on se souvient encore de l’excellente production de Coline Serreau sur la scène de l’Opéra de Paris en 2000.

L’œuvre revenait donc sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées pour un concert rassemblant une équipe en tournée menée à la baguette par l’expert Marc Minkowski. Indéniablement, le chef connait son affaire en matière d’opérette, insufflant dès l’ouverture toute la tonicité et la légèreté du genre viennois (même si Les musiciens du Louvre pouvaient, par moments, manquer un peu de rondeur).

La distribution a été marquée par deux défections de dernière minute, Christoph Filler remplaçant Huw Montague Rendall dans le rôle d’Eisenstein, et François Piolino, Krešimir Špicer, dans celui de Blind. Et c’est du côté de l’interprétation vocale que le bât blesse, aucun des interprètes n’étant, par ailleurs, en reste sur le jeu imposé par cette version mise en espace à force d’accessoires et de bouteilles de champagne dont les bouchons ont régulièrement sauté.

C’est incontestablement l’Orlofsky, puissance invitante en son bal masqué de la petite troupe embarquée dans la « vengeance de la Chauve-souris », qui a tenu le haut du pavé en la personne d’une Marina Viotti – à l’occasion chef d’orchestre… ou entraîneuse d’applaudissements – absolument conquérante. La voix, d’une puissance impressionnante pour un rôle d’opérette, chargée d’harmoniques, a su se colorer d’accents portant toute l’ironie du personnage et son « Ich lade mir die Gäste ein » a donné un ton péremptoire, avec ses sauts de voix, à la farce qui s’apprêtait à se dérouler lors du bal.

À ses côtés, le docteur Falke de Leon Košavic a tenu son rang d’homme qui eut, un petit matin, à traverser Vienne déguisé en Chauve-souris et réserve à Eisenstein qui lui a joué ce mauvais tour, un juste retour de bâton. La voix est, à tout moment, élégante et parfaitement adaptée à la prosodie et aux accents straussiens.

C’est plus du côté du couple Eisenstein que le compte n’y était pas tout à fait, car, et Jacquelyn Stucker, et Christoph Filler (certes remplaçant) ont la voix bien trop limitée, tant dans le grave que dans l’aigu, pour donner toute la dimension à leurs personnages respectifs même s’ils se sont avérés être de très bons acteurs.

On ne fera en revanche aucun reproche à l’Adèle d’Alina Wunderlin qui, même si sa jolie voix fruitée manquait un peu de rondeur, a su faire montre d’un jeu savoureux et a enchaîné trilles et aigus dans un « Mein Herr Marquis » de très belle facture.

Le ténor Magnus Dietrich a également très bien tenu son rôle même s’il a un peu abusé des références d’opéras dans sa prestation. L’abus, c’est d’ailleurs le mot que l’on peut globalement employer pour bien des passages où l’outrance a même quelquefois viré à l’ennui notamment lors du (très) long passage alcoolique et parlé du début du troisième acte. Les bonnes opérettes, riche de ressorts comiques, se suffisent parfois à elles-mêmes. Est-il besoin d’en rajouter ?...

Enfin, dans le rôle de Frank, Michael Kraus n’a pas non plus démérité et l’on doit également souligner la justesse et la précision de la prestation du très beau chœur/Cor de Cambra del Palau de la Música Catalana (direction Xavier Puig).

Lorsque la légèreté de l’opérette s’efface, un instant, devant une douloureuse réalité

En fin de concert, au terme d’une soirée qui avait toutefois mis en joie les spectateurs du Théâtre des Champs-Élysées, Marc Minkowski a souhaité prendre la parole… sur un terrain sur lequel on ne l’attendait pas forcément. Sans en rajouter dans le pathos, de manière très élégante, il a rappelé le contexte de guerres qui nous environnent même si nous venons trouver matière à réjouissances dans les salles de spectacles. Avant de reprendre le magnifique « Brüderlein » avec ses chanteurs, il a ainsi rappelé que, comme beaucoup, ses origines, ses amitiés, ses liens culturels l’amènent à ne pas se laisser entraîner dans un choix mortifère et à avoir de la compassion pour les deux peuples qui se retrouvent dans la tourmente au Proche-Orient, qu’ils soient Arabes ou qu’ils soient Israéliens. Minkowski a ainsi profité de sa tribune surélevée de chef d’orchestre pour porter une voix éclairée et positive dans un concert global qui ne fait pas toujours preuve d’autant de discernement.

Paul Fourier
Paris, 13 décembre 2023

La Chauve-Souris au Théâtre des Champs-Elysées, le 13 décembre 2023

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