
Du 28 février au 27 mars, l’Opéra Bastille donne une nouvelle production de l’opéra de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande, dans une mise en scène de Wajdi Mouawad. Seul opéra du compositeur français hélas, il réussit à fondre, comme ceux de Richard Strauss, dont il partage également une inspiration wagnérienne, les récitatifs et les arias dans une nouvelle continuité musicale pour les chanteurs. Et comme Leos Janaceck, il marie la ligne de chant à l’oralité pour garder son naturel à l’œuvre. Comme Richard Strauss et Leos Janaceck encore, Pelléas et Mélisande est un opéra littéraire tiré d’une œuvre littéraire, ce qui implique à rapport à la langue important.
Commençons par le meilleur. Le plateau vocal est ici idéal. Ce rapport à la langue exige une prononciation parfaite pour bien appréhender l’intrigue. Et chacun des interprètes de cette production, y compris les natifs de pays non francophones, garde une articulation exemplaire, et une élocution toujours audible.
Pelléas et Melisande, (c) Benoite Fanton / Opéra national de Paris 2024-25
Il serait d’abord facile de ne flatter que la soprano française Sabine Devieilhe tant elle réussit à donner à son timbre une lumière cristalline, lunaire et frêle, qui place sa Mélisande hors des autres personnages et du monde. Son air « Mes longs cheveux descendent le long de la tour » en est d’autant plus charmant, ses duos avec Pelléas touchants, et ceux avec Golaud cruels. Il serait facile également de ne se concentrer que sur le baryton anglais Huw Montague Rendall, dont la verdeur sied parfaitement à l’adolescent Pelléas. Il lui donne une fraicheur et une candeur des plus sensibles, notamment face à des figures d’autorité comme Arkel ou Golaud. Sa scène, au pied de la tour de Mélisande, illustre la qualité de son phrasé et de ses couleurs tendres, nécessaires au rôle.
Pour autant, ne retenir que les rôles-titres serait injuste envers les qualités du baryton-basse canadien Gordon Bintner en Golaud, qui, dès la rencontre avec Mélisande, nuance son inclinaison naissante d’un ton de menace. Il saura très bien exprimer de sa voix ferme et claire la montée de la jalousie de Golaud. La scène de torture de Mélisande et celle de l’épée sont glaçantes avec ses graves lourds et sans pesanteur inutiles.
Et les seconds rôles ne sont pas en reste. L’Arkel de la basse française Jean Teitgen montre une prestance sans exagération, et sa basse franche quasi apollinienne une émotion contenue. La façon simple dont il dit « Si j’étais dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes », et la mort de Mélisande notamment font ressortir sa sensibilité à fleur de peau. Et la Geneviève de la mezzo-soprano française Sophie Koch, droite et sans sévérité, ajoute au charme de l’opéra.
Pelléas et Melisande, (c) Benoite Fanton / Opéra national de Paris 2024-25
L’autre grande qualité de cette production est la direction du chef franco-italien Antonello Manacorda. Tramant une texture orchestrale soyeuse avec des cordes délicates et des cuivres fins, il conduit l’orchestre vers une parenté avec les œuvres orchestrales de Debussy comme La Mer ou Iberia. Le raffinement debussyste digérant la matière wagnérienne pour un alliage presque aérien, les couleurs et nuances harmoniques dignes d’un Couperin ou d’un Chabrier sont ici accordées avec un style d’une grande clarté.
Maintenant, ce qui nous semble plus problématique. Si le choix de commencer l’opéra avec la traversée de la scène par un sanglier blessé par une flèche n’est pas sot, il ôte la possibilité que l’animal blessé par Golaud soit Mélisande, et donc une partie du mystère de la jeune femme, l’annonce de leur relation et de la fin du drame. Et si l’utilisation de projections de divers paysages aqueux pour décor en fond de scène – des plages, des chutes d’eau, des grottes –, est pour une fois utilisée à bon escient, son corolaire d’une obscurité permanente finit par fatiguer. Et si les costumes de Pelléas en écolier, d’Arkel en bourgeois et de Golaud en chasseur font ressortir le fantastique de ceux de Mélisande aux longs cheveux blanc et en robe crème, ou de Geneviève en robe et à coiffure médiévale, un peu plus de fantaisie pour les hommes n’aurait pas fait de mal. Mais surtout l’intérêt des animaux morts éventrés au milieu de la scène, et le mariage de Pelléas et de Mélisande après leurs morts, présentent un intérêt assez restreint.
Il faut donc un peu fermer les yeux sur cette mise en scène pour pleinement apprécier la musique de cet opéra, tellement bien interprétée.
Andreas Rey
Paris, 9 mars 2024
Pelléas et Mélisande, du 28 février au 27 mars 2025 à l'Opéra national de Paris Bastille
11 mars 2025 | Imprimer
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