C’est à l’emblématique réalisateur berlinois Peter Stein qu’a été confiée la mise en scène du projet phare de l’Académie de la Scala de 2016 : la Flûte Enchantée de Mozart, présentée actuellement à Milan. Les productions post-estivales (désormais devenues quasiment traditionnelles) offrent aux jeunes chanteurs du programme une chance unique de mettre leur talent à l’épreuve sur la grande scène du théâtre, en fin de la saison de la Scala.
Le metteur en scène a d’abord cherché ici à transformer les chanteurs en herbe en véritables acteurs, en mesure de maîtriser parfaitement le texte parlé allemand de la Flûte Enchantée, qui, étant un Singspiel, comprend des dialogues nourris et intenses. Malgré sa longue expérience de metteur en scène d’opéra, Stein met un point d’honneur à restituer l’ambiance originale du conte de fée de Schikaneder, en réintégrant certaines scènes dont l’œuvre est généralement expurgée. Il atteint son but, si l’on en juge par l’interprétation efficace, amusante et fluide du baryton Till von Orlowsky (Papageno) et, dans une moindre mesure, de ses acolytes. La production étant assurément axée sur cette composante spécifique, elle reste assez classique tant au niveau des décors que des costumes. Elément frappant, le spectacle correspond exactement à l’idée que l’on peut s’en faire après plus de deux siècles de scénographies historiques et de productions traditionnelles. Toute la machinerie viennoise du théâtre « populaire féérique » est mise à contribution : les personnages et les objets apparaissent et disparaissent du haut ou du plancher de la scène, les éclairages sont abondants et singuliers, les bruits de la scène sont accentués, conformément aux indications du livret original. Idem pour les costumes, comme la tenue de Papageno, ornée de plumes, et les nombreux accessoires, les cages d’oiseaux, les faux animaux – notamment les couples de lions tirant le chariot de Sarastro. Aucun aspect de la scénographie ne cherche ici à être réaliste (ni la magie de la nuit éclairée par la lune, ni les bosquets, ni les rayons du soleil dans la scène finale), ce qui, par contraste, met en relief la modernité de la musique de Mozart. Pour autant, la mise en scène est appréciée, comme si le parti pris de Stein de ne pas proposer d’interprétation personnelle de l’histoire permettait à la Flute Enchantée de Schikaneder et de Mozart de ressurgir plus clairement dans sa dimension complexe initiale de conte de fée pour adultes.
Cette production repose sur une distribution globalement solide, qui offre une version divertissante de la Flûte Enchantée. La prestation des Trois Dames, dont les voix sont souvent stridentes, représente le seul point faible du spectacle, tandis que les autres chanteurs se montrent dans l’ensemble prometteurs, bien qu’évidemment perfectibles – notamment Yasmin Özkan (la Reine de la Nuit) et Martin Summer (dans le rôle de Sarastro). Mais les prestations les plus remarquables sont celles du couple principal : Martin Piskorski, dans le rôle de Tamino, qui nous enchante dans l’aria de l’introduction, sait instaurer un climat de vibrante tension dramatique dans la scène de la confrontation avec le Prêtre et déploie une voix limpide d’un bout à l’autre de la soirée. À ses côtés, la cantatrice égyptienne Fatma Said se montre convaincante, campant une Pamina au charme méditerranéen, s’exprimant en allemand avec une diction parfaite et se montrant particulièrement émouvante dans l’expression de ses tourments intérieurs, en conservant la même intensité et justesse de ton, que ce soit dans le Finale de l’Acte I (Ich bin zwar Verbrecherin, « Je suis effectivement coupable »), dans l’aria de l’Acte II (Ach ich fühl’s, es ist verschwunden!, « Ah, je le sens, il a disparu ») ou lors de moments plus intimistes (So wird Ruh’ im Tode sein, « La paix viendra avec la mort »).
La direction musicale est confiée au chef d’orchestre hongrois Ádám Fischer, qui faisait ses début à la Scala il y a exactement trente ans dans la Flûte Enchantée. Fischer livre une prestation magistrale, conférant à l’orchestre de l’Académie une qualité sonore particulière, tour à tour rayonnante, énergique, éclatante, et transparente, douce et tendre, gérant les contrastes dynamiques de manière équilibrée tout au long de la partition en veillant à ne jamais couvrir la voix des interprètes. Toujours attentif au moindre détail, dosant les nuances avec subtilité, l’orchestre participe grandement à la puissance émotionnelle de certaines scènes cruciales, comme la confrontation entre Tamino et le Prêtre dans l’acte 1, l’aria de Monastos dans l’acte 2, en offrant un fond sonore émouvant interprété pianissimo, ou lors de la marche qui ouvre l’acte 2, plongeant le public dans un autre monde : un univers imaginaire, naïf et candide, et pourtant engagé.
traduction libre de la chronique de Raffaele Mellace
20 septembre 2016 | Imprimer
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