Les Noces de Figaro à l'English National Opera : un divertissement qui vaut le détour

Xl_eno-the-marriage-of-figaro-2020-louise-alder-johnathan-mccullough © Marc Brenner

Cette production des Noces de Figaro devait être donnée à l'English National Opera de Londres du 14 mars au 18 avril 2020. Si les premières représentations ont bien été données, les représentations suivantes ont dû être annulées du fait de la pandémie de Covid-19. Nous proposons ici une traduction de la chronique en anglais de Sam Smith de la première du 14 mars.

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Les Noces de Figaro, créé en 1786, est l'un des trois opéras pour lesquels Mozart a collaboré avec le librettiste Lorenzo Da Ponte (avec Don Giovanni et Così fan tutte). L'œuvre est inspirée de la deuxième des pièces de la trilogie de Pierre de Beaurmarchais sur Figaro, tandis que la première sera plus tard immortalisée par Rossini dans Le Barbier de SévilleLes Noces se focalise sur ce jour particulier où Figaro, valet de chambre du Comte Almaviva, tente d’épouser Susanna, camériste de la Comtesse. Le séducteur Comte Almaviva, désireux de posséder Suzanne, entend rétablir le « droit de cuissage », cette loi féodale abolie qui permet à un seigneur de jouir de toute servante préalablement à sa nuit de noces. Figaro et Suzanne entendent déjouer le sinistre projet, alors qu'il faudra aussi compter avec le jeune Cherubino dont le libertinage fait également des ravages auprès de ses proches, que la Comtesse se sent abandonnée et négligée par le Comte, ou encore que Marcelline, femme vieillissante, insiste pour que Figaro l'épouse à moins qu'il ne puisse rembourser sa dette... L'opéra se termine bien, même si l’on peut douter que le Comte change réellement de comportement un jour. Et à ce jour, l'ouvrage reste l'un des le plus fréquemment joués dans le monde.


ENO The Marriage of Figaro 2020, Ensemble ; © Marc Brenner

La nouvelle mise en scène de Joe Hill-Gibbins pour l'English National Opera (coproduite avec l'Operhaus Wuppertal) situe l'action dans un contexte contemporain mais en en privilégiant davantage la dimension « dynamique » plutôt que la période où se déroulent les faits. Le décor de Johannes Schütz se compose d'une structure blanche en forme de boîte qui occupe, en grande partie, l'avant de la scène, et qui compte quatre portes en arrière-plan. Dès l'ouverture, la chorégraphie de Jenny Ogilvie, qui fait virevolter maîtres et valets à travers ces différentes portes, donne le ton de la soirée.

Cette structure se révèle rapidement très polyvalente. Au départ, elle représente la future chambre à coucher de Figaro et Susanna. Alors que le duo ouvre les portes pour découvrir à quel point les propres chambres du Comte et de la Comtesse sont proches, ces mêmes personnages en émergent. Bien sûr, ils ne devraient pas vraiment être là, mais la production brouille la frontière entre imaginaire et réalité. Par exemple, quand ils ouvrent la porte sur le maître de musique Don Basilio, il semble qu'il les scrute fixement. De même, quand Figaro « s'adresse » au Comte au premier acte (dans son esprit), la production le fait apparaitre, bien présent et paré de ses plus beaux atours. Figaro le poursuit et tente alors de le chasser avec son manteau, mais il cesse et essaie de le cacher quand le comte se retourne – quand bien même il ne devrait exister que dans l'imaginaire de Figaro. 


Hanna Hipp, Louise Alder, Johnathan McCullough © Marc Brenner

ENO Chorus, Hanna Hipp © Marc Brenner

L'ensemble montre néanmoins ses limites dans certaines scènes. A l'acte I notamment lorsque Cherubino et le Comte finissent tous deux par se cacher, ils se dissimulent derrière des portes restées ouvertes. Cela semble absurde car, bien plus efficacement, ils pourraient passer les portes et les refermer derrière eux, et pourtant se faisant, le comique de geste disparaîtrait aussi sûrement qu'eux mêmes dès qu’ils ne seraient plus exposés à notre vue. Avec ce type de choix, la production abandonne aussi l'idée que le Comte se cache involontairement à l'endroit où se trouve déjà Cherubino, ce qui force un peu plus tard l’adolescent à déménager.

La production compte deux faux-pas davantage problématiques concernant le personnage de Cherubino, et c'est dommage car Hanna Hipp l’interprète extrêmement bien. Lorsqu’elle chante « Voi che sapete che cosa è amor », ses postures grotesques gâchent le moment qui révèle l’aspect le plus tendre et le plus sensible du personnage. Dans cette même ligne, la Comtesse et Suzanna devraient être captivées plutôt que de participer à cette gestuelle stupide. De même, n’est-ce pas une erreur lorsqu'il est déguisé en demoiselle d'honneur dans l'acte III, de le faire apparaître en robe fleurie, distincte des autres demoiselles d'honneur puisque la plaisanterie réside justement dans le fait que, même mêlé au groupe, le personnage se distingue et attire l’attention de la Comtesse.

De prime abord, l’apparition du décor à l'acte II donne d’emblée une impression décevante de déjà-vu puisqu'on retrouve le même espace déjà utilisé. Ce choix s’avère néanmoins vite judicieux car le décor de base accueille une foule de détails qui impulsent de la vie sur scène. À commencer par l'escalier qui mène aux quatre portes : c'est par là que quiconque peut entrer ou sortir de la pièce, impliquant une solide coordination pour s'assurer que tous les protagonistes sont à leur bonne place au bon moment, que ce soit pour le monter ou le descendre. Et lorsqu'il disparait de notre champ visuel, nous avons également ce sentiment que ceux resté à l'intérieur y sont piégés. L'acte IV, qui se déroule dans un jardin, est bien réalisé également dans la mesure où le décor est reculé en fond de scène et que l'espace de jeu des personnages est avancé : l'agencement aide à appréhender l'ensemble des intrigantes rencontres se déroulent dans l'obscurité. 

La scène dans laquelle Figaro découvre que Marcellina et le docteur Bartolo sont sa mère et son père est magnifiquement exécutée, alors que tous les personnages se regroupent. Pour autant, la production semble globalement moins intéressée par le contexte social et les hiérarchies du livret que par ses propres respirations créatives. Par exemple, alors que le Comte chante « Vedrò, mentr'io sospiro », il ouvre les quatre portes pour révéler tous les personnages dans les diverses situations qui les compromettent les uns envers les autres. On peut dès lors se demander dans quelle mesure ce contexte correspond aux enjeux de l’œuvre originale. Et quand bien même il pourrait s'agir ici de discuter de l’inconvenance contemporaine, il est plus aisé d'apprécier la dynamique spécifique de la production, indépendamment de son message. 


Johnathan McCullough, Susan Bickley, Colin Judson, Andrew Shore ;
© Marc Brenner


Johnathan McCullough, Louise Alder © Marc Brenner

Si l’on considère néanmoins que l'opéra se donne pour mission de transmettre un message, on pourrait retenir ici les enjeux de l'amour librement consenti, par opposition aux manières anciennes et brutales du Comte. Ici, tous les personnages souscrivent à cette nouvelle philosophie – raison pour laquelle, sans doute, le Comte se retrouve seul à la fin. 

Le ton voulu par la production s’accorde parfaitement au style d'interprétation des rôles principaux. Ainsi, Johnathan McCullough minimise la dimension la plus sombre du Comte (son côté réellement « voyou » et répugnant) de sorte que l'impact comique de certaines de ses scènes est parfait. Božidar Smiljanić déploie un très beau baryton-basse et dote son Figaro d'un sens très sens de la fanfaronnade, alors que Louise Alder projette un magnifique soprano dans le rôle de Susanna. À noter à ce propos, la belle harmonie entre elle et la comtesse d'Elizabeth Watts lors des envoûtantes interprétations de Porgi, amor et Dove sono.  

Rowan Pierce, dans le rôle de Barberine, chante L'ho perduta magnifiquement et interprète la partition telle qu'elle a été écrite à l'origine. De leur côté, Colin Judson (qui interprète à la fois Don Bazile et Don Curzio) et Clive Bayley dans le rôle d’Antonio enrichissent leurs personnages d’une multitude d'accents et de bégaiements. Les très aguerris Susan Bickley et Andrew Shore endossent formidablement les habits de  Marcelline et du docteur Bartholo (il est d’ailleurs agréable de retrouver Andrew Shore dans ce rôle qu’il a déjà interprété à de nombreuses reprises dans le Barbier de Séville).

La direction d'orchestre de Kevin John Edusei est efficace, faisant de la production une soirée qui n'est certes pas parfaite, mais se révèle divertissante et pleine d'attraits. Le 18 avril, Nardus Williams interprète la comtesse et Yvonne Howard, Marcellina. James Henshaw doit diriger les représentation des 14, 16 et 18 avril.

traduction libre de la chronique de Sam Smith
(14 mars 2020, Londres)

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