Partenope surréaliste au London Coliseum

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La domination durant presque vingt ans de George Frideric Handel sur la scène opératique londonienne a débuté en 1720 avec Radamisto, plaçant ainsi Partenope, créé en 1730, à l’apogée de l’âge d’or du compositeur. Lors de la première, l’œuvre était particulièrement bien accueillie, mais s’impose sans doute comme l’une des œuvres les plus éloignées de l’opera seria de tout le répertoire du compositeur et représente alors un véritable défi pour tout metteur en scène voulant donner un sens à une trame aussi farfelue.


James Laing et Stephanie Windsor-Lewis (c) Donald Cooper


James Laing (c) Donald Cooper

Pour autant, l’English National Opera a longtemps été connue pour être la « Maison de Handel » et Christopher Alden, qui revendique une longue association avec l’établissement londonien, imagine un concept qui fonctionnement ici parfaitement pour l’ouvrage. L’histoire elle-même met en scène la reine Partenope, fondatrice de Naples, qui compte trois prétendants, Arsace, Emilio et Armindo. Arsace a néanmoins délaissé et fait du tort à son ancienne amante, Rosmira, qui se déguise alors en homme (sous les traits d’Eurimene) afin de reconquérir son amant et, alors qu’elle se montre impatiente de retomber dans ses bras à la moindre occasion, imagine un stratagème lui faisant également prétendre qu’elle aime Partenope. De son côté, Emilio est le prince de la contrée voisine de Cumes, qui entend gagner Partenope en conquérant son royaume par les armes, mais est finalement capturé au combat. Enfin, Armindo qui vagabonde comme un chiot énamouré, se montre jusqu’alors trop effrayé pour déclarer sa flamme à la Reine. Après nombre de rebondissements, Arsace et Rosmira seront de nouveau réunis, alors que Partenope choisira Armindo comme époux.

Christopher Alden, dont la production avait été inaugurée au London Coliseum en 2008 et fait l’objet aujourd’hui d’une première reprise, imagine un décor judicieux pour le drame, en le situant dans une demeure moderne. Chaque personnage apparait sous les traits d’un artiste célèbre, issu du mouvement Surréaliste : Emilio est Man Ray, arborant un masque, compose ou prend et développe des photographies, alors que Partenope pourrait être Lee Miller et Ormonte, André Breton. Au départ, Partenope est assise, seule, alors que cinq hommes (en y incluant Rosmira, sous son déguisement) descendent un escalier, en prenant la pose et portant des tenues qui pourraient être associée au Surréalisme – on découvre par exemple Armindo, suspendu à mi-hauteur de l’escalier tout en assurant son aria (James Laing, impressionnant, tient sa partition tout du long), alors qu’Emilio installe les autres personnages au sol, pour les besoins d’une photographie, les obligeant donc à interpréter leur récitatif allongés par terre.


Sarah Tynan, James Laing, Patricia Bardon (c) Donald Cooper


Matthew Durkan et Sarah Tynan (c) Donald Cooper

Bien que l’ensemble soit divertissant, à l’Acte I, le parti pris semble d’abord un brin artificiel, certes efficace, mais sur lequel on aurait simplement calqué la trame. À partir de l’Acte II, il prend néanmoins davantage de sens. La guerre entre Emilio et Partenope dans l’Acte II apparait de façon très imagée, sans la moindre effusion de sang, au cours duquel la moitié des personnages se contentent de vider des coupes de champagnes dans un affrontement social. Tout apparait comme éminemment surréaliste et figure une guerre aux allures de performances artistiques, ou comme un état d’esprit. Une approche tout à fait pertinente ici dans la mesure où Emilio part initialement en guerre pour conquérir le cœur de Partenope. Il est ici question de désirs profonds, sur lesquels s’ajoute une surcouche d’intrigues alors que les personnages louvoient toujours pour atteindre leurs objectifs ultimes, comme animés par leur subconscient.

Pour autant, quand bien même la production revendique sa part de réjouissances, de danses ou de costumes décalés, la mise en scène ne va jamais trop loin, de sorte que l’action ne nous distrait pas excessivement des performances chantées. Et c’est particulièrement bienvenu quand l’excellente distribution nous offre tant de motifs de satisfaction. Outre Patricia Bardon, qui incarnait déjà Rosmira dans la production originale, toute la distribution est ici renouvelée et chaque interprète apporte énormément à son rôle.

Sarah Tynan déploie un soprane d’une magnifique pureté, dans une incarnation habitée et remarquablement intelligente de la Reine Partenope, alors que Rupert Charlesworth est impressionnant en Emilio, remplaçant Robert Murray au pied-levé, et révélant un ténor souple et radieux. Dans le rôle d’Arsace, Patricia Bardon déploie un mezzo-soprano incroyablement nuancé, avec une attention pour le détail qui se marie à un phrasé impeccable. Le mezzo-soprano de Stephanie Windsor-Lewis est tout aussi impressionnant dans le rôle de Rosmira, James Laing porte son très beau contreténor au premier plan dans le rôle d’Armindo, alors que Matthew Durkan est un Ormonte à la fois habité et efficace. Le chef Christian Curnyn, spécialiste de la musique baroque, dirige une partition avec toute la légèreté qu’elle nécessite, de sorte que la soirée dans son ensemble est proche d’atteindre une perfection éthérée.

traduction libre de la chronique de Sam Smith

Partenope | du 15 au 24 mars 2017 | London Coliseum

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