Basé sur la pièce en français de Victorien Sardou en 1887, la Tosca de Giacomo Puccini de 1900 ne se situe pas simplement dans un lieu et à une époque spécifique, mais à une date précise étroitement associée à un événement historique. Toute l’action se déroule au cours de l’après-midi, de la soirée puis de la matinée des 17 et 18 juin 1800, après la bataille de Marengo entre les troupes de Napoléon et les forces autrichiennes. Les Autrichiens, se pensant d’abord triomphants, envoient la nouvelle de la victoire à Rome, mais les célébrations sont de courte durée quand les rapports révèlent que Napoléon a finalement réussi à mobiliser des renforts pour infliger une cuisante défaite à ses adversaires.
Tosca se déroule aux heures où les messages contradictoires arrivent à Rome. Angelotti, consul de la cité quand elle était encore une République mais prisonnier depuis que les forces napolitaines l’occupent, s’évade du Castel Sant’Angelo et se tourne vers le peintre Cavaradossi pour le cacher. De son côté, le chef de la police de Rome, le Baron Scarpia, tente d’obtenir des informations sur le refuge d’Angelotti auprès de l’amante de Cavaradossi, la célèbre chanteuse Floria Tosca. Elle est naturellement encline à la jalousie, et Scarpia entend exploiter cette inclinaison mais tombe sous le charme de la chanteuse dans l’opération.
Alors que Scarpia condamne Cavaradossi à mort pour avoir caché le fugitif, Tosca promet au Chef de s’offrir à lui s’il libère son amant et leur permet à l’un et l’autre de quitter Rome. Scapia accepte, expliquant qu’il doit néanmoins faire croire qu’il entend tuer Cavaradossi et, en apparence, ordonne à ses hommes d’orchestrer un simulacre d’exécution avant que les amants ne puissent s’évader. Pour autant, dès que Scarpia signe leurs passeports, Tosca le poignarde à mort. Mais en lieu et place de la fausse exécution, Tosca découvre trop tard que Scarpia s’est joué d’elle et que Cavaradossi a été fusillé avec de vraies balles. Alors que la rumeur de la mort de Scarpia se répand, Tosca se jette du parapet du Castel Sant’Angelo et plonge vers sa mort.
Terriblement efficace, la brillante production de Jonathan Kent pour la Royal Opera House, qui a fait ses débuts en 2006 et connait aujourd’hui sa septième réédition, articule son décor autour de lignes courbes. L’acte I dévoile le côté sombre de l’église romaine Sant’Andrea della Valle, avec la chapelle de la famille Attavanti dont l’autel principal sert initialement de cachette à Angelotti.
Du point de vue du public, la nef et le chœur surplombent la scène, jonchée de colonnes en marbre et de cierges dont émanent toute la beauté et la lumière du lieu. A l’inverse, le bas de la scène offre un aperçu des coulisses de l’église, où différents styles artistiques et architecturaux se mêlent en quête d’attention. Ici un ancien caveau, là un piédestal corinthien (sur lequel se tient une statue de la Vierge), et la peinture sur laquelle Cavaradossi travaille est placée en face des restes d’une fresque médiévale délavée du Jugement Dernier.
C’est dans cette dimension surchargée et désordonnée que l’église, en tant qu’institution, est représentée de façon très « imparfaite », notamment dans le contexte de l’occupation napolitaine où elle semble perdre son lien indéfectible avec la police et de l’Etat. Pendant que le chœur et la foulent récitent le « Te Deum » dans un chant dédié au paradis, Scarpia, seul au second niveau, révèle comment en pratique, il règne sur chacun de ces trois grands domaines.
Le décor de Paul Brown place l’église légèrement en angle par rapport au public, et cette esthétique asymétrique est perpétuée dans l’acte II où l’appartement de Scarpia dans le Palazzo Farnese est conçu autour de deux courbes qui s’entrecroisent.
Un détail intéressant : les seules étagères sur lesquelles sont rangés des livres sont celles qui cachent la salle où Cavaradossi est torturé, et même ceux-ci s’avèrent en fait être des faux. A l’acte III, la scène de l’exécution sur les remparts du Castel Sant’Angelo, est dominée par un parapet courbe qui ne couvre qu’un unique pan de la scène, créant ainsi une atmosphère hostile au clair de lune.
Deux distributions couvrent les représentations, et la distribution A réunit Angela Gheoghiu, Riccardo Massi et Samuel Youn, respectivement dans les rôles de Tosca, Cavaradossi et Scarpia. Angela Gheorghiu est plus qu’expérimentée dans le rôle-titre, et révèle une voix à la fois sensible et d’une incroyable beauté, culminant lors de son interprétation renversante de l’emblématique « Vissi d’arte ». Riccardo Massi, qui a fait ses débuts à la Royal Opera House il y a maintenant deux ans, possède une voix de ténor clair et puissante, et son interprétation du « E lucevan le stell » est particulièrement notable puisqu’il en maintient un contrôle parfait tout du long. Pour ses débuts à Covent Garden, Samuel Youn dévoile une basse profonde d’un bel effet, à la hauteur de son jeu d’acteur – tranchant avec tout manichéisme, on ressent pleinement sa vulnérabilité lorsqu’il est désarmé par son amour pour la chanteuse ; quant à Tosca, après avoir tué Scarpia, Angela Gheorghiu montre comme un certain respect pour le lion vaincu, et peut-être même une pointe de remords.
Dans la fosse, Emmanuel Villaume maintient un haut niveau de précision et de contrôle sur une œuvre composée d’un nombre incalculable de changements d’humeur et de ton. Il offre là une lecture qui permet de placer les détails et les nuances du son au premier plan, et dans ces moments qui n’emploient que quelques instruments, la vaste Royal Opera House semble soudainement devenir une salle bien plus intimiste.
La direction demeure, elle aussi, efficace de bout en bout. L’ouverture de l’acte III voit les soldats vaquant à leurs occupations – de quoi exalter notre propre trépidation quant à l’inéluctable exécution de Cavaradossi. La façon dont les soldats manœuvrent en s’avançant vers le condamné pour tirer, pour ensuite battre en retraite, s’harmonise brillamment avec la musique. La mise ne scène saisit ainsi simultanément la nature routinière de leurs activités, de leur propre point de vue, mais aussi la peur ressentie par Tosca quad bien même elle pense que tout se déroulera selon le plan prévu, et notre propre pressentiment de la catastrophe imminente. Lorsque le rideau tombe, trois des survivants de l’intrigue ne peuvent rien faire d’autre que quelques pas étranges, hagards. Comme mettre l’accent sur leur propre sentiment de honte et d’écœurement, concevant à peine que tous les géants, y compris les plus machiavéliques, ont ici trouvé la mort.
Traduction libre de la chronique anglaise de Sam Smith
Tosca | 9 Janvier – 5 Février 2016 | Royal Opera House, Covent Garden
22 janvier 2016 | Imprimer
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