Il est toujours un peu triste de voir un rideau se lever devant une salle d’opéra à moitié vide. Certes, le froid glacial qui sévit à New-York en ce mois de février n’arrange pas les choses, mais ce qui est réellement en cause, c’est la mise en scène de Michael Grandage, dont la première a eu lieu ici, au Metropolitan, en 2011. Boudée par le public, elle a été jugée ennuyeuse et peu audacieuse par de nombreux critiques. La distribution en est pourtant alléchante. Avec Peter Mattei et Luca Pisaroni dans les rôles respectifs de Don Giovanni et de Leporello, et Alan Gilbert, chef d’orchestre adulé par le public new-yorkais, l’affiche promettait un spectacle de grande qualité. Mais cette version de Don Giovanni n’a pas attiréles foules au Metropolitan Opera.
Personnellement, je ne me montrerai pas aussi sévère àl’égard de cette production de Grandage, et je la trouve même excellente par moments. Les décors et les costumes sont conformes àceux de l’époque de l’histoire. La scène est occupée par un mur de façade coulissant qui peut être diviséen trois parties. Cette subdivision crée des couloirs permettant aux artistes d’aller et venir. Chaque partie comporte de grandes portes au rez-de-chaussée et des fenêtres dotées de volets au premier et au second étage. Derrière la première façade se trouve une autre paroi concave arborant des portes et des fenêtres identiques. Lorsque la première façade disparaît, l’action passe de la rue àla scène du mariage de Masetto et Zerlina, puis au palais de Don Giovanni et au cimetière. Si sa description peut paraître rébarbative, ce système est en fait utiliséde manière ingénieuse et permet d’enchaîner les différentes scènes de manière très fluide, notamment àla fin du premier acte, où l’action passe de la rue au palais de Don Giovanni, une transition toujours délicate àgérer pour les metteurs en scène.
Toute la production profite de l’énergie remarquable de Peter Mattei, sans doute le meilleur interprète actuel de Don Giovanni. Ce soir-là, il s’est montré désopilant, grandiose, intrépide et impétueux. Tout au long de la représentation, Mattei a fait preuve d’une assurance impressionnante et d’une grande subtilité, incarnant un Don Giovanni à la fois impitoyable et curieusement touchant. Déployant une voix puissante, séduisante et parfaitement nuancée, sa performance a été à la hauteur des attentes. Il forme un duo parfait avec Luca Pisaroni, qui a également donné le maximum de lui-même ce soir-là. Pisaroni a interprété l’air de “Madamina” avec une grande aisance, tandis que les volets du premier et second étage des différents murs laissaient successivement apparaître des figures de femmes représentant évidemment tous les noms figurant dans le catalogue de Don Giovanni. Certainement l’un des moments phares de cette soirée.
C’est lorsqu’ils ont quitté la scène que les choses se sont gâtées, notamment lors de la prestation désastreuse de Dmitry Korchak. Ce ténor fait ses débuts au Metropolitan cette année dans le rôle de Don Ottavio. J’ignore ce qui s’est passé ce soir-là, mais il n’était certainement pas au mieux de sa forme. Incapable de tenir les notes longues et les attaquant systématiquement par en dessous, son interprétation de “Dalla Sua Pace” était un pur fiasco. Il a réitéré cette bizarrerie dans l’air de “Il Mio Tesoro”. Personne n’a hué à la fin – le public du Metropolitan ne hue jamais, sauf lors des soirées d’ouverture vraiment catastrophiques – mais on percevait la gêne et l’envie de rire du public lors de ces deux arias. Espérons que M. Korchak améliorera ses performances vocales au fil des représentations. Emma Bell, qui incarnait Dona Elvira, s’est montrée décevante dans le premier acte, où son jeu d’actrice a pris le pas sur sa prestation vocale. Son exécution de l’air “Ah, Chi Mi Dice Mai” était trop agressive et fébrile. Elle s’est heureusement montrée plus convaincante dans le second acte. Elza van den Heever a fourni une excellente prestation, quelque peu timide dans son expression scénique, mais déployant une voix puissante et émouvante. Kate Lindsey nous a offert une Zerlina irrésistible qui a su compenser les excès d’Adam Plachetka, dont la maladresse volontaire était parfois exagérée. Les deux artistes ont merveilleusement chanté. Enfin, James Morris dans le rôle du personnage puissant et sombre du Commendatore, manque quelque peu d’intensité, mais il dégage une présence suffisamment imposante pour rendre son entrée terrifiante.
Alan Gilbert, quant à lui, a livré une interprétation précise et intense de la partition, parfaitement en phase avec l’énergie insufflée par Mattei et Pisaroni. C’est ce trio d’artistes qui a véritablement sauvé la soirée.
Thibault Courtois
Don Giovanni au Metropolitan Opera (jusqu'au 6 mars 2015)
Crédit photographique (c) Marty Sohl
20 février 2015 | Imprimer
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