Nous sommes tous, avec nos propres critères, en quête de l’opéra parfait. D’abord des douzaines de chanteurs, musiciens et techniciens doivent être parfaitement synchronisés pendant plusieurs heures, ce qui est déjà significatif : les bases sur lesquelles nous serons tous d’accord. Puis cela devient plus personnel. Qui chante ? Avez-vous besoin d’un de ces grands noms sur votre programme ? Votre siège ? Suffisamment proche ? Une personne de grande taille devant vous obstrue-t-elle un bon tiers de la scène ? Quel est votre seuil de tolérance en la matière ? Avez-vous réussi à échanger subrepticement une place d’orchestre contre votre place au deuxième balcon ? Quelle aubaine ! Et avec qui êtes-vous ? Qu’avez-vous mangé et où ? Qu’avez-vous bu ? Quel air avez-vous besoin de voir parfaitement exécuté ? Tous ces critères sont différents pour chacun d’entre nous. Cependant, il nous semble qu’il y a deux caractéristiques communes à toutes soirées d’opéra parfaites : ces dernières sont inattendues et impossibles à déconstruire. Il en fut exactement de même pour ces Contes d’Hoffmann dont il nous faut maintenant tenter de rendre compte.
Vittorio Grigolo était annoncé malade juste avant le lever de rideau. Un assistant de production était venu prévenir qu’il ferait de son mieux, ce qui n’était vraiment pas nécessaire. Vittorio Grigolo a une voix de ténor véritable et une sonorité naturelle qui le place en marge de la plupart des ténors du circuit. Le placement de sa voix n’est pas tellement frontal ; ainsi, le timbre reste pur sans jamais être nasillard. Dans toutes les nuances de la partition et dans toute sa tessiture, sa voix garde la même couleur et ne nécessite que peu de technique et d’effort pour être poussée. Vittorio Grigolo était tout à fait à l’aise dans la peau d’Hoffmann, navigant dans ce rôle coriace avec une énergie et une générosité formidable du début jusqu’à la fin. Son jeu, tout comme son chant, furent parfaitement au point et sans maniérisme : une évolution récente et bienvenue. Il fut la plus belle surprise de la soirée.
La seconde fut Kate Lindsey dans le rôle de Nicklausse / La Muse. Diplômée récemment du programme des jeunes artistes du Met Opera, le public de New York, contrairement peut-être au public européen, la connait bien. Lindsay a tout pour elle : le physique, la voix, la technique ; de plus, c’est une actrice fantastique. Dans cette production des Contes d’Hoffmann, Nicklausse est constamment sur scène. « Il faut en cette heure fatale qu’il choisisse entre nos amours, qu’il appartienne à ma rivale ou qu’il soit à moi pour toujours ! » dit La Muse dans le Prélude de l’opéra. Bartlett Sher, le metteur en scène de cette production, a décidé de porter une attention particulière à cette ligne : ainsi, sur scène, Nicklausse est toujours aux côtés d’Hoffmann, le servant et l’aidant dans son périple. Simultanément, on voit fréquemment son double, La Muse, aidant les quatre vilains à voler ou tuer les amantes successives d’Hoffmann. L’ambiguïté de Nicklausse est particulièrement bien soulignée dans la mise en scène de Sher et correspond parfaitement au livret, ajoutant une dimension de compréhension supplémentaire à l’intrigue. Lindsey s’accommode comme personne de la complexité que cette dualitéimplique : dans la mise en scène de Sher, Nicklausse, sans cesse sur scène, observe et interagit avec les décors ou les autres personnages quand elle ne chante pas : pendant trois heures, qu’on regarde Kate Lindsey à n’importe quel moment : elle est active, et quoi qu’elle fasse, on a envie de la remercier de nous faire rire, clarifier l’intrigue ou juste d’embellir le tout. Soyons sincères : le livret desContes d’Hoffmann n’est pas le plus simple de l’histoire de l’opéra. Mais grâce au travail de Sher et à l’interprétation parfaite que Kate Linsdey en fait, Les Contes d’Hoffmann sont ici aussi clairs qu’ils peuvent l’être.
Personne n’a chanté les quatre rôles féminins au Met depuis quinze ans. Cette soirée n’a pas fait exception à ce qui semble être devenu la nouvelle norme, bien qu’Anna Netrebko ait été annoncée pour tous les rôles féminins lors du premier tour de cette production en 2009, avant de finalement faire marche-arrière quelques semaines avant la première. L’Olympia d’Erin Morley a conquis la salle. La jeune coloratura était drôle, très à l’aise avec les aigus et a même ajouté quelques suraigus pour le spectacle. Le public a adoré et aurait ostensiblement voulu la voir davantage. La voix suave et puissante de Hibla Gerzmava montrait une Antonia émouvante et captivante. La Giulietta de Christine Rice était tout aussi impeccable. Le baryton Thomas Hampson n’était pas tout à fait à l’aise avec les quatre vilains, luttant parfois dans les graves, mais parvint tout de même à se rendre effrayant. Dans la fosse, Yves Abel a passé un excellent moment à mettre la représentation sur pieds et le tout sonnait aussi bien qu’on pouvait le souhaiter. Enfin, le chœur du Met Opera nous montre une nouvelle fois qu’il mérite sa place parmi les meilleurs du monde. Les magnifiques et difficiles chœurs de cet opéra étaient parfaitement exécutés dans un français très précis, chose rare et précieuse.
La parfaite soirée d’opéra, comme je le disais.
Thibault Courtois
28 janvier 2015 | Imprimer
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