Cette année, le Metropolitan Opera a convoqué de nombreux talents de France pour les quelques représentations de Manon. Jugez plutôt : Nicolas Testé en Comte des Grieux et le ténor Christophe Mortagne en Guillot dans une production de Laurent Pelly, le tout sous la baguette d’Emmanuel Villaume. Et deux stars figurent en tête d’affiche : Vittorio Grigolo et Diana Damrau.
M. Grigolo est maintenant confortablement installé au Met Opera. La maison lui avait réservé son récital programmé annuellement il y a un an. On a pu aussi l’y entendre dans trois différentes productions ces douze derniers mois. Il nous faut reconnaître que l’énergie et la passion de Grigolo sur scène sont incomparables : son dynamisme, sa mobilité et son allure athlétique contribuent grandement à son interprétation d’un Des Grieux fougueux. Grigolo a longtemps été critiqué pour en faire trop, mais il a manifstement su entendre ses détracteurs. Son jeu depuis maintenant deux ans est plus modéré et parait plus juste. Vocalement, il continue également de progresser, notablement dans ses pianissimi, précis et résonants. Il est un des modèles de ces « nouveaux chanteurs lyriques » : par « nouveaux chanteurs lyriques », j’entends ces chanteurs aux traits fins, au physique soigné, au jeu d’acteur travaillé et intense mais aussi capable de chanter un rôle d’opéra admirablement dans son intégralité. Diana Damrau en fait elle aussi partie.
On l’oublie progressivement mais la soprano allemande a commencé comme coloratura avant de se diriger depuis quelques années vers des rôles de sopranos lyriques, celui de Manon étant l’un d’entre eux. Les deux premiers actes de l’opéra, dans lesquels sa partie tend souvent vers le bas registre l’ont trouvée en difficulté : les notes les plus basses manquaient de projection et beaucoup de phrases se trouvaient couvertes par l’orchestre, malgré les efforts visibles d’Emmanuel Villaume pour réduire le volume de ses musiciens. Damrau paraissait compenser ces difficultés par un jeu d’acteur excessif, ce qui nous laissait craindre pour la suite. Mais après le premier entracte, le troisième acte où la partition de Manon s’envole progressivement vers les aigus nous offrait une Diana Damrau transformée : on retrouvait alors sa magnifique voix et toute l’ampleur de cette dernière.
Les seconds rôles n’ont pas démérité. Une mention spéciale pour Christophe Mortagne et son interprétation franco-française de Guillot. Laurent Pelly voulait manifestement que le rôle du méchant soit comique : quelque-chose que M. Mortagne, grâce notamment à son expérience de l’opérette française, a su parfaitement produire. Dès le deuxième acte, le public riait de chacune de ses apparitions et interventions. Il est vrai que les récitatifs, déclamés dans la plus pure tradition française étaient particulièrement hilarants. Nicolas Testé a interprété le Comte des Grieux de manière très autoritaire. Son timbre sombre mais paradoxalement étincelant parvenait bien à se projeter dans l’immense salle du Met. Russell Braun en Lescaut et Dwayne Croft en Brétigny étaient eux aussi tout à fait en place.
Comme souvent, la mise en scène de Laurent Pelly laisse la priorité à la musique. On ne la trouve jamais imposante, les décors sont aussi légers et fins que les phrases musicales de Massenet et les mouvements de foule et du chœur sont toujours silencieux et parfaitement calqués sur la musique. Il y a cependant un problème majeur : ce spectacle étant une co-production avec La Scala, Covent Garden et le Capitole de Toulouse, les décors ont été créés pour des scènes plus petites que celle du Met et certains semblent un peu perdus au milieu de la scène new-yorkaise. Plus grave, les décors ouverts des actes un, deux, trois et cinq absorbent les voix des chanteurs. En revanche, pendant le quatrième acte, la largeur et la profondeur de la scène sont enfin limitées par des parois qui renvoient les voix des chanteurs : un véritable soulagement. Il est curieux que ce problème n’ait pas été résolu pour la reprise de cette mise en scène.
Damrau et Grigolo formaient un duo magnifique : l’intensité juvénile qu’ils sont également parvenus à incarner via leur personnage est apparue très juste. Au finale, quand Manon meurt enfin dans les bras de Des Grieux, Grigolo a laissé exploser toute la tension et la douleur accumulées pendant les cinq actes dans un cri effrayant, effrayant surtout car ce cri n’était pas chanté mais hurlé, ce qui techniquement pour un chanteur est fort difficile à réaliser et qui montre à quel point le ténor italien est maintenant serein sur cette scène du Met qu’il parait tant aimer. Alors que le rideau se baissait, le public restait stupéfié de ce cri. Tous deux furent ovationnés comme il se devait.
Thibault Courtois
@thibopera
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