À l’Opéra de Dijon, Les Pêcheurs de perles en joyau de musique

Xl_les_p_cheurs_de_perles_dijon © Mirco Magliocca

On pensait ne plus avoir à évoquer les oubliables Pêcheurs de perles qui avaient ouvert la saison 23-24 de l’Opéra national du Capitole ; le travail de la metteuse en scène Mirabelle Ordinaire à l'Opéra de Dijon (coproduction avec l'Opéra de Toulon) y oblige : mêmes décors en échafaudages, même espace de jeu limité au proscenium, même écran en fond de scène pour montrer les couleurs du ciel (jour / nuit, coucher de soleil #nofilter), même absence de direction d’acteurs, mêmes gestes cérémoniaux vides de sens (comme des GIFs) du chœur, même ringardise instantanée… et bien sûr, même ennui de spectateur. Sans lire la note d’intention, impossible de comprendre que Zurga est en fait Bizet lui-même – la seule chose qui explique la présence de prime abord injustifiée du personnage sur scène pendant presque toute la soirée –, qui donne vie à sa partition en se prenant tellement au jeu qu’il en devient lui-même le baryton accusateur (puis sauveur) de Nadir et de Leïla, à quelques mètres des échafaudages du Palais Garnier en construction. L’indifférence quant à cette vision « historique » (sic) domine très vite, car rien n’est fait pour coller au propos, pour faciliter les allers-retours d’époques ou pour tout simplement assurer une continuité dramaturgique, le tout dans une esthétique plutôt vilaine et des lumières mal fagotées...

Ce sont en fait la musique et la musicalité qui raflent la mise, déjà parce que les quatre interprètes vocaux y mettent vraiment du leur. Rôle court mais impact maximal pour Nathanaël Tavernier, qui par sa présence frappante et sa résonance hyper-contrôlée, hisse Nourabad vers les cieux. Philippe-Nicolas Martin s’empare du rôle de Zurga par des aigus sidérants et un médium onctueux, ainsi que par la lumière apportée à tous les registres. Chaque phrase est un espoir à elle seule, l’incarnation d’une fermeté et d’une expressivité qui se laissent toujours du mou pour se dévoiler petit à petit. La dualité du personnage entre sa bromance avec Nadir et sa promesse s’illustre dans le développement de la ligne comme une pensée cartésienne, mue par une argumentation sensible de la continuité de notes. Le splendide instrument du ténor Julien Dran est un véritable luxe pour un Nadir au cœur de miel, à la souplesse olympique et au souffle incommensurable. Il ouvre la porte à tous les possibles, à un voyage émotionnel à la destination surprise qui ne peut qu’émerveiller par la sincérité des chemins pris. D’une voix pleine, il restreint pourtant sa puissance en une rare leçon de chant. Hélène Carpentier campe Leïla dans l’épice, l’émancipation et la réflexion, que l’art de la longueur lui permet d’approcher au plus vrai. Son soin à la restitution de l’écriture de Bizet lui vaut peut-être une émission parfois trop « géométrique », pas toujours dans le sillage du relief émotionnel qu’elle tend à transmettre.

En dépit de ses limites dans l’aigu et dans la tenue mélodique de chaque partie, le Chœur de l’Opéra de Dijon cultive une vraie philosophie de la fusion entre les voix. Pierre Dumoussaud veille au grain à ce que les départs correspondent scrupuleusement à ceux de l’Orchestre Dijon Bourgogne (dont on passera sur les cordes souvent savonneuses), et à instaurer une transparence générale et une féerie des textures, pour que puissent passer joliment harpe affectueuse et flûte ingénue. On apprécie que les forte soient plus volumineux que sonores, que le sable se transforme en écume, et que le chef valorise à égalité l’appareil et les toppings. Il fait référence aux souvenirs (de Bizet dans la mise en scène, de Zurga et de Nadir) avec un pied toujours engagé dans le présent des modulations colorées de la partition. Animateur spontané de didascalies invisibles, Pierre Dumoussaud continue à montrer que le répertoire français lui va comme un gant.

Thibault Vicq
(Dijon, 21 mars 2025)

Les Pêcheurs de perles, de Georges Bizet :
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à l’Opéra de Dijon (auditOrium) jusqu’au 23 mars 2025
- prochainement à l’Opéra de Toulon

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