À l’Opéra de Tours, La Flûte enchantée au Lotus bleu

Xl_feg43hd_mariepe_try © Marie Pétry

En allant voir La Flûte enchantée à l’Opéra de Tours, on ne s’attendait pas à entendre tourner en boucle dans notre tête le générique de la série d’animation des Aventures de Tintin à l’issue de la représentation. Pour sa dernière mise en scène en tant que directeur à l’Opéra de Lausanne, en mars 2024, Éric Vigié avait approché La Flûte enchantée (et actuellement à l’Opéra de Tours) sous le prisme de l’imagination des Trois Enfants, pris dans l’univers visuel du Lotus bleu – la couverture de l’album en est bien montrée – et de Tintin au Tibet. Pendant l’ouverture, leur mère ou nourrice (future Pamina) leur lit une histoire, en compagnie du majordome (futur Monostatos), et c’est par un Tamino sous l’effet hallucinatoire de l’opium que commenceront les péripéties mozartiennes.

Le spectacle est un régal visuel de costumes (également d’Éric Vigié) et de décors (Mathieu Crescence) éclairés en teintes lui donnant du relief (Denis Foucart). Inutile de réviser son Hergé avant de s’asseoir en salle, car les références (dragon, vase, vapeurs, temple bouddhiste, yéti, Himalaya) ne servent qu’esthétiquement le récit, par ailleurs très fouillé, avec des portraits pertinents, tant dans les arias que dans les dialogues parlés. Cette démarche de conte illustratif en saynètes signifiantes se fond à la structure en vignettes de l’œuvre, sans la prétention de vouloir la proposer sous un jour inédit. Cela fait parfois du bien de ne pas gratter le mystère (et les artifices de livret) de La Flûte enchantée, et de se laisser porter par des personnages, qu’importe la nature des épreuves qu’ils traversent.

La Flûte enchantée - Opéra de Tours (2025) (c) Marie Pétry
La Flûte enchantée - Opéra de Tours (2025) (c) Marie Pétry

Jean-Gabriel Saint-Martin pourrait symboliser à lui seul ce théâtre de caractères, en un Papageno hyper impliqué, dont le jeu et la corporalité font des merveilles sur le plateau. Il affirme la matière du son, la prosodie de l’action et la magie du phrasé en piliers du chant, ce qui peut le mener à tailler dans l’émission et à perdre en précision, tout en oubliant de sortir des nuances forte. Si l’attachant Maciej Kwaśnikowski dispose de la voix adéquate pour Tamino, le trop de force qu’il met à l’ouvrage l’empêche de garder une homogénéité dans les changements de registre. En se situant vite dans une limite de justesse et de volume, il peine à partager autant qu’il le souhaiterait la netteté de son timbre. Les coloratures préoccupantes d’Anne-Sophie Petit contredisent rapidement l’agilité et la texture cristalline qu’on lui pressentait au début d’ « O zittre nicht, mein lieber Sohn ! ». De Sarastro (Julien Ségol), on gardera surtout en mémoire la perte de rythme, les graves peu audibles, et le manque de cohérence de la ligne, malgré quelques améliorations à l’acte II. Les Trois Dames bien assorties d’Erminie Blondel, Annouk Jóbic et Marie Gautrot, le Monostatos amusé et rigoureux de Pablo García López, ainsi que la Papagena consciencieuse de Manon Lamaison complètent les seconds rôles, mais c’est de toute façon l’exemplaire Jeanne Mendoche qui recueille tous les suffrages par sa profondeur amoureuse de musique. La soprano est toujours partante pour l’émotion et sème le bonheur de Pamina dès qu’elle le peut, même dans un bouleversant « Ach, ich fühl's, es ist verschwunden », qui se présente comme le cri d’un cœur en miettes aspirant à son salut. Le Chœur de l’Opéra de Tours pose une dernière pierre de solidité à cet ensemble.

La baguette ciselée et joueuse de Clelia Cafiero révèle un réel plaisir à diriger le Singspiel de Mozart dans ses flux, courants et articulations les plus diverses, faisant de la partition un véritable trésor de Rackham le Rouge grâce à ses détails entraînés dans une avancée gouailleuse. Elle soutient que du beau Mozart passe par de la lumière, de la légèreté et de la noblesse, aussi bien dans les longueurs de notes et les contrechants, particulièrement bien dessinés au premier basson. Dommage que les cordes, plutôt soyeuses mais peu synchrones, n’aillent pas jusqu’au bout du geste, à l’instar du reste de l’Orchestre Symphonie Région Centre-Val de Loire/Tours, certes généralement correct quoique peu enclin à s’écouter entre pupitres.

Thibault Vicq
(Tours, 2 mars 2025)

La Flûte enchantée, de Wolfgang Amadeus Mozart et Emanuel Schikaneder, à l’Opéra de Tours jusqu’au 4 mars 2025

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