L’INSTANT LYRIQUE réunit les amoureux des récitals lyriques un lundi par mois à Éléphant Paname, à l’instar des lundis musicaux de son voisin l’Athénée – Théâtre Louis-Juvet (où nous étions justement la semaine dernière). Pour sa quarante-deuxième édition, le Dôme étoilé de LEDs, au sein du bel hôtel particulier Napoléon III, convie Anne-Catherine Gillet, avec la complicité de la mezzo Victoire Bunel et d’Antoine Palloc, fidèle pianiste et directeur musical de L’INSTANT LYRIQUE. Après le récital réussi – quoique peu ambitieux – de la soprano l’année dernière à l’Opéra Comique, nous attendions plus de répertoire et peut-être moins de coquetteries. Et tout en français se dévoilent l’opéra, l’opérette et l’opéra-comique, dans l’excellence que nous lui connaissons.
Anne-Catherine Gillet prend le soin de vibrer chaque note pour ne jamais en favoriser une plus qu’une autre. La Reine joyeuse de Charles Cuvillier se trouve alors choyée de sincérité, de mélancolie et de recherches sur le rythme, qui continueront à être essaimées durant la soirée. La salle ne rend pas tout à fait justice à son Antonia (« Elle a fui, la tourterelle »), qui paraît trop sonore et intense (particulièrement dans les aigus), comme en démonstration de force. Cependant, le légato inspiré exploite encore la musicalité de la partition, comme chez Massenet. La soprano ne s’asseoit pas sur ses acquis : les tonalités et les modes vivent de l’intérieur et s’alimentent avec parcimonie.
Antoine Palloc a la main lourde en ce début de récital. Les harmonies sont amenées avec peu de subtilité et de distinction, même si quelques échos voluptueux se dessinent lors des rares piano. Tout s’explique : nous apprenons après les deux airs de Cendrillon qu’il n’est pas en mesure d’assurer le reste du concert. Il est remplacé fissa par Qiaochu Li, Grand Prix de Duo Chant-Piano 2017 – avec la mezzo Ambroisine Bré – du Concours international Nadia et Lili Boulanger. Son arrivée sur l’air des bijoux fait entendre un orchestre au complet dans des phrases sortant du néant pour bourgeonner en accords volatils, avec une pédale mesurée. La soprano, qui vient d’incarner une superbe Marguerite à l’Opéra Royal de Wallonie, nous confirme ce numéro d’illusionniste, en un personnage authentique et adolescent, étranger au compromis, à des années-lumière de la potiche à laquelle il est trop souvent cantonné. Elle chante ensuite les bienfaits de l’amant sur le mari avec drôlerie et délectation du verbe, en nous laissant en contact direct avec sa prosodie. Si la vitalité d’André Messager sied moins à ses talents de conteuse, Anne-Catherine Gillet garde une densité et une agilité rubato chez Poulenc, tout comme son acolyte Victoire Bunel, une superbe révélation à la diction tout aussi parfaite. Contrairement à la soprano, dont l’éloquence provient du chant pur, la mezzo instille un art de la composition de rôle, dans l’être et la parole. Elle emporte dans un carrousel de cabaret, habité par l’envers d’un décor bigarré, ni blanc ni noir.
La pianiste Qiaochu Li semble déchiffrer à vue certaines partitions, mais toujours avec entrain, avec grand talent, et au moyen de couleurs étonnantes. Rien ne la terrifie, ni ces bis préparés pendant les applaudissements (les accords jazzy de Michel Legrand sur la Chanson des jumelles sont retors à première lecture), ni les ajustements de partitions à l’arrache dans les coulisses. Elle maîtrise ses valses, légères ou lancinantes, et témoigne surtout d’un professionnalisme hors pair, partagé par les deux chanteuses. « The show must go on », c’est certain. Dommage qu’il doive s’achever.
Thibault Vicq
(Paris, le 18 février 2019)
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19 février 2019 | Imprimer
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