Armide (de Lully) en amphi blanc à l’Opéra de Dijon

Xl_22042023-_mir1200_armide___mirco_magliocca__op_ra_de_dijon © Mirco Magliocca, Opéra de Dijon

Cours en amphi. « Il est quelle heure ? », demande-t-on à son voisin. Il répond : « Il est 25. » On croyait pourtant qu’une heure entière était passée. La nouvelle Armide de l’Opéra de Dijon (en coproduction avec Château de Versailles Spectacles) fait à peu près le même effet, à la seule différence que l’on se trouve à la place du prof, devant les gradins blancs sur scène. Dominique Pitoiset offre en effet une lecture plutôt pauvre et absconse de la troisième collaboration entre Jean-Baptiste Lully et le librettiste Philippe Quinault. Les notes d’intention partent dans tous les sens : « Armide a été élevée comme un agent secret russe », « Renaud devient un avatar de lui-même, le « sextoy » d’Armide dont elle abuse »… La scène, très statique, n’expérimente que peu ces déclarations, et insère pêle-mêle une rapide incursion (bien menée) en asile psychiatrique, quelques séances (peu crédibles) de réalité virtuelle, et un test de grossesse positif, sur fond de vidéos dignes d’une parapharmacie. On admet n’avoir pas franchement compris cette histoire de « Jeu », d’ « Ordre », de salle du conseil – un décor de gradins qui prend beaucoup de place sans être réellement usité –, de pouvoir par la technologie, passant du coq à l’âne d’un acte (« épisode ») à l’autre. À quoi bon handicaper une entreprise qui ne tient déjà pas ses promesses, en morcelant les idées, le tout avec une direction d’acteurs réduite au strict minimum ? Car les pouvoirs d’Armide – Alcina avant l’heure – sur le chevalier chrétien Renaud ne sont pas nécessairement des plus complexes sur le papier… Heureusement, la tragédie lyrique de la fin du XVIIe siècle pour la cour de Versailles fait la part belle à la danse, ici royalement représentée par la Compagnie Beaux-Champs, et les chorégraphies de Bruno Benne, baignées d’étrangeté (dans les costumes de Nadia Fabrizio), comme des mouvements de créatures télécommandées en pensée commune.


© Mirco Magliocca, Opéra de Dijon

Les voix ont du mal à transcender l’espace qui leur est dévolu. Stéphanie d'Oustrac, récemment interviewée pour Opera Online, donne l’impression de lancer en trombe des bribes de phrases de façon aussi aléatoire que l’intelligibilité de son articulation française. En pilote automatique, elle manque d’orientation musicale. Elle expérimente le personnage d’Armide par intonations, mais ne le construit pas vraiment par le chant, si bien qu’on ne sait jamais trop où elle veut en venir. C’est paradoxalement au dernier acte que l’instrument se fait moins fragile, lorsque la plainte supplante les pleins pouvoirs. Cyril Auvity instaure au contraire d’emblée une atmosphère éthérée par les aplats pastel de son timbre, qui ne lui garantissent cependant pas toujours ses aigus en voix de tête, même si la voix de poitrine s’affirme avec plus d’ardeur. Marie Perbost, savonneuse, aligne les notes, les appuis et les rythmes en oubliant de les accompagner sur un chemin. Eva Zaïcik s’en sort un peu mieux, avec une agilité, un vibrato moelleux et un ricochet de résonances qui édifient une progression mélodique. Tomislav Lavoie invoque en Hidraot un élégant bloc assuré de rationalité, et Timothée Varon incarne un argument d’autorité dans les deux rôles qu’il endosse. David Tricou tresse une sensualité élancée par ses lignes dégagées, tandis que Virgile Ancely découpe bien les phases émotionnelles de la voix, notamment par de riches nuances. Anass Ismat a brillamment préparé le Chœur de l’Opéra de Dijon à une opulence de couleurs, à une chaleur souveraine et à une habileté à ne former qu’un seul personnage. L’avance métronomique, qui devrait se résoudre aux prochaines représentations, souligne toutefois l’engagement à voir plus loin que l’émission en cours !


© Mirco Magliocca, Opéra de Dijon

Vincent Dumestre dirige Le Poème Harmonique par la science de l’impact et la fusion de toutes les verticalités. Il fait émerger le son en poupées russes et en enchevêtrements, dont les instrumentistes tirent parti pour « métalliser » les transitions et transformer progressivement les dissonances en certitudes harmoniques. Les ballets se dansent aussi bien en fosse que sur scène – en particulier la passacaille entêtante de l’acte V – grâce à un engagement du qui-vive, comme un arc bandé. La flèche tirée à chaque instant par Le Poème Harmonique apporte ainsi le concept d’attraction-répulsion dont est privé ce spectacle (à première vue) sans issue.

Thibault Vicq
(Dijon, 25 avril 2023)

Armide, de Jean-Baptiste Lully :

- à l’Opéra de Dijon (auditOrium) jusqu’au 29 avril 2023
- à l’Opéra Royal de Versailles du 11 au 14 mai 2023

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