Présenté pour la première fois à Naples en 1816 (comme Otello, lui aussi à l’affiche du Rossini Opera Festival 2022), La gazzetta est un opéra pour lequel Rossini a vraiment mis du cœur à l’ouvrage en fusionnant farsa et opera buffa sur un livret d’après d’une pièce de Goldoni. Le compositeur a d’ailleurs tenu à retoucher les numéros recyclés de précédentes œuvres (La pietra del paragone, Le Turc en Italie, Torvaldo e Dorliska, L’equivoco stravagante et La cambiale di matrimonio) pour épouser la ligne dramatique. Le pimpant quintette du premier acte est longtemps resté introuvable, et ce n’est que depuis la découverte du manuscrit original en 2011 au Conservatoire de Palerme qu’on peut exécuter La gazzetta de la façon la plus fidèle. Pesaro reprend la production de Marco Carniti créée en 2015, donc déjà avec ce fameux quintette qui avait donné du fil à retordre aux musicologues.
Que reste-t-il sept ans après ? Passé l’effroi d’une esthétique périmée de rideaux cheap et de lettres géantes descendant des cintres (difficile de reconnaître la belle Paris, où le livret se déroule), ou d’épouvantables lumières monochromes (avec chaque couleur du drapeau LGBTQIA+, le metteur en scène souhaitant ainsi illustrer la « liberté d’expression et des sentiments »), ce travail prudent et peu signifiant se laisse regarder. L’impression générale relève du « moyen », du « pas assez », du « gentillet », car en dépit d’idées de théâtre, le récit reste un peu étriqué dans des décors abstraits qui auraient pu servir de support à des développements plus intéressants. Il y avait pourtant de la matière : Lisetta est mise « à marier » par son père Don Pomponio dans le journal. Alberto tombe nez à nez avec elle après avoir vu la petite annonce, mais elle se déclare mariée à l’hôtelier Filippo, avec qui elle s’est promise secrètement en fiançailles. Alberto prend ensuite Doralice pour la « fille de la gazette », puis Filippo se déguise en souverains étrangers, avant que ne s’ensuivent des quiproquos qui tourneront (à raison) le vieux Pomponio en bourrique et feront triompher les amours Lisetta-Filippo et Alberto-Doralice.
La distribution est elle aussi dans son ensemble régie par la malédiction du « passable », à l’instar du 12 sur 20 accordé par les professeurs de collège et de lycée et qui semble dire : « Je tolère, mais tu peux mieux faire. » Maria Grazia Schiavo (Lisetta) en fait tellement des tonnes en termes de projection et de simagrées, qu’elle perd en justesse et en rythme. Elle est capable d’un phrasé réfléchi et de coussinets de son ; elle opte pour des changements de registres brutaux, une respiration de plongeuse et un chant dont la retenue est absente, toujours dans une curieuse extériorité par rapport à ce qu’elle interprète. Giorgio Caoduro (Filippo) applique avec tact la science du récitatif vivant et du jeu d’acteur engagé, muni d’une superbe voix qui ne peut que le mettre en valeur. Il s’efforce à la précision, toujours pour le rythme, la plupart du temps avec succès pour les vocalises (excepté dans son grand air qui trahit ses limites vocales). Mais quelle raideur de la ligne ! Pietro Adaíni a les notes, mais pèche à garder le beau sur la durée. Même avec le souci de bien faire, il se heurte à une incarnation scénique très peu convaincante. Andrea Niño commence avec une émission drapée, et termine en expression brute. La puissance à répétition de Pablo Gálvez l’éloigne des piano qui prouveraient sa vraie subtilité. Les prometteuses apparitions de Martiniana Antonie (Doralice) et Alejandro Baliñas Vieites donnent en revanche envie d’en entendre plus ! Quant au Coro del Teatro della Fortuna, il donne la victoire à la lourdeur de groupe.
L'Orchestra Sinfonica G. Rossini parvient à matérialiser les volumes des gammes et arpèges rossiniens. Dommage que le chef Carlo Rizzi ne sorte jamais du cadre. La rigueur militaire seulement axée sur la stabilité ne porte pas ses fruits à tout moment. En attestent des décalages entre fosse et plateau, voire des échos dans les traits rapides de cordes. Il a le métier ; malgré tout, il se fige dans le galant et la surface.
Si on se souvient vraiment de ce spectacle, c’est pour l’exceptionnel one-man show total de la basse Carlo Lepore en Don Pomponio (rôle chanté en napolitain !). Il mène tous les sets d’une immense avance : celui des récitatifs, avec les mains, comme au comptoir du café du commerce ; celui des airs, par un empire vocal qui domine tous les autres ; celui du théâtre, par sa présence physique omnisciente. Son page (le drolatique Ernesto Lama) fait la paire, dans une composition non-chantée reçue justement par le public, qui ne manque pas d’applaudir à tout rompre les deux loustics. Car il faut de l’ « excellentissime » pour justifier le « moyen ».
Thibault Vicq
(Pesaro, 13 août 2022)
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