Bryn Terfel, Beethoven et Celtie avec l’Orchestre national de Bretagne

Xl___laurent_guizard_-_img_6994 © Laurent Guizard

Pour sa septième saison en tant que directeur musical de l’Orchestre National de Bretagne, le Gallois Grant Llewellyn réunit les talents de son compatriote Bryn Terfel, du Galicien Carlos Núñez et du Breton Benoît Menut pour un sagace programme dont la clé de voûte est la Septième Symphonie de Beethoven. Les quatre mouvements de cette dernière sont entrecoupés d’autres pièces qui révèlent le génie de Bonn sous un autre jour. Omaggio de Benoît Menut, en création mondiale, utilise la même instrumentation que l’œuvre préromantique. Ses trois segments dialoguent efficacement avec des motifs musicaux ou rythmiques de Beethoven, développés en textures moins frontales que dans son « modèle ». L’alternative au Vivace introductif se fraye un chemin en serpentant entre les familles d’instruments, tandis que le pendant du célèbre Allegretto funèbre acquiert une liberté moins tourmentée, plus multiculturelle et sereine. Le tronçon rythmique de basse est inversé comme pour « ouvrir » le discours à une entente des forces en présence. Enfin, la troisième lecture débute comme le Scherzo, avant de se parer de l’ironie polytonale d’un Darius Milhaud.  

Beethoven a écrit ses Chansons écossaises, irlandaises et galloises en marge de la Septième à partir de matériaux folkloriques « du cru ». Grâce aux arrangements solaires de Benoît Menut et Pierre Chépélov, l’effectif initial d’accompagnement aux piano, violon et violoncelle est élargi à un orchestre symphonique agrémenté de percussions et d’une harpe. Certaines mélodies sont confiées à la cornemuse ou aux flûtes celtiques du stupéfiant showman Carlos Núñez, d’autres au non moins fédérateur Bryn Terfel. Le baryton-basse déroule le rêve d’un soldat avec une ferveur mâtinée de piété dans des aigus croyants. Il n’y aucun surcroît de polarité dramatique dans cette intensité partisane ; seulement un instinct qui immortalise des rivages et étendues sauvages en pastels vibrants. Il transforme sa voix vers un registre moins filtré, plus malté pour les chansons à boire, et transmet une familiarité – voire une normalité – fort adaptée à ces miniatures populaires. Le légato fermier peut soudain laisser place à une déclamation solennelle. Il pétrit parfois le tempo pour mieux servir l’affect du texte : un ralentissement sur un mot ou une émotion, une relance pour redorer la ligne. Son élocution est à ce titre un allié de taille, tout comme cette voix égale même dans les obstacles et multiple dans ses caractères.

Les sonorités printanières sont légion à l’Orchestre national de Bretagne, sous la baguette de son directeur musical. On décèle par moments la gourmandise de Mendelssohn et la densité de Schumann. Dans la symphonie, le premier mouvement sent agéablement l’iode et le tangage, sur un navire prêt au combat. Grant Llewellyn ne tourne pas forcément les phrases vers leur résolution, mais plutôt sur la dynamique de l’instant. Les mezzo piano et mezzo forte exposent un contenu kaléidoscopique, alors que les piano et les forte peuvent parfois sembler trop flottants. Dans l’Allegretto dual, la rondeur des violoncelles et contrebasses – superlatifs – est au service d’une articulation prête à l’envol, tandis que les violons et altos cherchent à intégrer la pesanteur du Destin. Le fugato précautionneux n’enlève en rien le caractère incroyablement soudé des cordes, qui se retrouvera dans les pizzicati hargneux du Scherzo. Dans le Trio pompette et vogueur, justement, les bois se donnent en beau spectacle avant de participer à la grande fête du IV. Les accélérations facétieuses des timbales et des cuivres relancent la machine, garantie par le métier d’instrumentistes qui ont acquis l’art d’un « vivre et jouer ensemble » manifeste. Le respect de la lettre – accents, liaisons, nuances – est ici la piste de décollage vers des sommets musicaux.

En guise de bis, la mélodie « Save me from the Grave and Wise », fait retentir sans équivoque à la cornemuse un des motifs du quatrième mouvement de la Symphonie, et permet à Bryn Terfel de mettre le point final – avec un grain de folie – à ce concert enthousiasmant des retrouvailles avec le public rennais.

Thibault Vicq
(Rennes, 17 septembre 2021)

Crédit photo © Laurent Guizard

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