Carlo Vistoli, renversant en récital, avec Les Accents, au Festival de Beaune

Xl_r_cital_carlo_vistoli_les_accents_beaune_1 © ars.essentia

Au lendemain d’un étourdissant Rinaldo de Haendel, dans lequel il incarnait le rôle-titre, le contre-ténor Carlo Vistoli concocte avec le même ensemble Les Accents un programme inédit de récital, en clôture de la 42e édition du Festival international d’opéra baroque et romantique de Beaune. La liste d’airs tourne autour du castrat Antonio Maria Bernacchi (1685-1756), figure emblématique qui se produit dans différentes cours européennes dès son adolescence, écume quelques scènes d’Italie du Nord, avant de tenter l’aventure londonienne, qui lui vaut entre autres une demi-douzaine de collaborations avec Haendel mais ne récolte pas les hourras d’un public bougon. Il retourne à Bologne, sa ville d’origine, pionnière en matière de formation lyrique, pour enseigner et continuer à étendre son répertoire de chanteur. Le librettiste Métastase (dont les écrits nourrissent plusieurs airs ce soir) ne tarit pas d’éloges sur lui, et le corpus présenté ce dimanche à la basilique Notre-Dame expose des pièces rares qui témoignent de la riche palette du chanteur d’alors et des haltes dans sa carrière bien remplie.

Aucune limite ne paraît avoir de prise sur les possibilités de Carlo Vistoli. Le paquebot vocal insubmersible qu’il incarne dans l’Adelaide de Pietro Torri complexifie les marches harmoniques par le non-systématisme de l’avancée mélodique. Les phrases ne sont pas le fruit que d’une ou deux mesures, mais d’un élan sur des lignes entières de musique. L’Epaminonda, deuxième opéra de Torri représenté devant l’autel, se pare de solennité, étend ses crescendos sur plusieurs dizaines de secondes. Le contre-ténor garde à cœur son étendue narrative par le corps de l’émission. Chez Scarlatti (Griselda), il alimente son terrain de jeu par le rythme, la cinétique du verbe et la ponctuation : staccato extra-fin et réactivité féline participent au spectacle. « Dovrian quest’occhi piangere », l’une des rares pages restantes de Scipione il giovane de Luca Antonio Predieri, démontre une supériorité du souffle, une habileté inouïe à former des sous-phrases et des sous-couches (parfois plus véhéments encore que le premier vernis). Un constat s’impose : le son se trouve toujours là où il doit être. Pourtant, Carlo Vistoli n’est pas uniquement là où on l’attend. L’alpha et l’oméga sont à saute-mouton, et la précision diabolique du placement propose aussi une lecture de la puissance expressive. L’air de Demofoonte de Gaetano Maria Schiassi impressionne par le contrôle phénoménal d’une technique qui n’est à aucun moment une fin en soi, mais surtout un outil pour responsabiliser la véracité. Sur le Haendel de Lotario et Partenope (qui bénéficie en bis d’une continuation avec Giulio Cesare), le contre-ténor constitue un oscillogramme à tête chercheuse, sous une seconde peau de légato quasi-improvisato, une action de troubadour multicolore à l’ironie malicieuse, des étapes (à maillot jaune) de Tour de France.


Carlo Vistoli (c) ars.essentia

En comité plus restreint que la veille, Les Accents mettent plusieurs airs avant de trouver leur équilibre sonore de croisière, (à nouveau) sous la houlette de Thibault Noally. Les timbres peinent initialement à se fondre à l’acoustique du lieu, puis on retrouve l’esprit du geste caractéristique d’interprétation vers l’horizon qu’on avait savouré jusqu’à l’extase dans Rinaldo. Si l’ensemble ne vit peut-être pas les péripéties de la partition aussi solidement que Carlo Vistoli, c’est quand le tranchant surgit (comme dans « Furibondo spira il vento » de Partenope) que la fête est plus folle. Le Concerto pour violon RV275 de Vivaldi est partageur à souhait, dans son mouvement lent suspendu comme dans son finale décoiffant. On apprécie également la tendresse contenue et les fins de notes synchronisées dans Scipione il giovane, en soutien feutré d’un contre-ténor au sommet de ses moyens, découvert au concours « Renata Tebaldi » en 2013 par Anne Blanchard, qui célébrait ce soir le dernier concert de son mandat de déléguée générale du Festival, sous les hommages de son successeur Maximilien Hondermarck, des musiciens et du public.

Thibault Vicq
(Beaune, 28 juillet 2024)

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