Des Contes sans vraiment Hoffmann à l'Opernhaus Zürich

Xl_les_contes_d_hoffmann_-_olympia © Monika Rittershaus

Dans Les Contes d’Hoffmann, la narration éclatée et le surgissement du fantastique confèrent une grande liberté au metteur en scène pour illustrer le livret avec plus ou moins de contextualisation, de linéarité ou de réalisme. Mais il ne faut pas oublier que les trois histoires d’amour déçu naissent d’une discussion de comptoir, à quelques grammes d’alcool dans le sang.


Les Contes d’Hoffmann, Opernhaus Zürich ; © Monika Rittershaus

Andreas Homoki ouvre donc à raison sa nouvelle production à l’Opernhaus Zürich – qui était diffusée ce dimanche en livestream – sur un tonneau, avant d’ouvrir un rideau noir sur une plateforme carrelée surélevée où se joueront les trois « contes ». Si nous attendons toujours de l’œuvre qu’elle nous emmène le plus loin possible, dans un pays de reflets, d’automates et de malédictions, le metteur en scène joue sur le resserrement de l’espace sur ce carré ivre de mouvements qui penchent, pour invoquer plus facilement l’imagination sur ce qu’il décide de montrer. Un canapé pour Olympia, un piano pour Antonia, une table de jeu de cartes pour Giulietta, et c’est tout. C’est bien suffisant dans l’acte d’Antonia, sommet d’émotion (jusqu’au magnifique basculement du piano) sous le patronage photographique de la mère décédée, mais Andreas Homoki tourne à vide dans l’acte d’Olympia et perd en lisibilité dans l’acte de Giulietta. Qu’est-ce qui cloche, alors ? Certainement pas les costumes euphorisants (Wolfgang Gussmann et Susana Mendoza), les tours de magie des quatre méchants, ou l’usage scénique opulent du chœur (lui-même au demeurant plutôt performant). Et si c’était plutôt Hoffmann qui manquait à l’appel ?


Les Contes d’Hoffmann, Opernhaus Zürich ; © Monika Rittershaus

Saimir Pirgu est un ténor extrêmement reconnu pour la technique et l’émission hallucinantes dont il a encore fait preuve ce soir. Rien ne l’arrête : legato sublime, rondeur anisée du placement, sauts de notes cotonneux qui n’en trahissent jamais la difficulté. Nous ne saurions lui prêter le moindre faux pas stylistique, car il n'ose jamais, car il s’avère complètement opaque à l’expressivité théâtrale. Il est fort malheureux qu’une telle voix ne fasse que suivre les rythmes à la lettre et ne compose un Hoffmann aussi falot. Nous cherchons le personnage ; il est toujours présent sans être là. Nous souhaiterions qu’il élargisse son champ des possibles ; la santé vocale est toujours là sans être présente, sans visage, sans cœur, défaite de l’âme que le diable aurait prise ; les mots sont prononcés comme dans un texte à trous, mi-français mi-yaourt. Nous ne savons pas s’il faut être déçus, frustrés ou consternés par le fait que Saimir Pirgu se réduise lui-même à une intelligence artificielle déconnectée du sens du texte et de la musicalité, avec un instrument si phénoménal…


Les Contes d’Hoffmann, Opernhaus Zürich ; © Monika Rittershaus

Katrina Galka défait Olympia de sa tendresse mécanique avec beaucoup d’originalité et de succès. Elle s’aventure dans la puissance des vocalises, se met en danger (les contre-fa faisant foi) pour retomber constamment sur ses pattes ! Comme elle reste humaine à travers la lorgnette d’Hoffmann, Les Oiseaux dans la charmille devient un air grandiose et assuré. Ekaterina Bakanova (Antonia) est l’allégorie de la voix par excellence ; elle est bouleversante, enveloppée de velours. Sa « chanson d’amour » avec le poète lui fait mélanger des textures vocales paradisiaques au seul réveil humanisé de Saimir Pirgu pendant la représentation. Nous ne comprenons pas un traître mot de la Giulietta un peu sévère de Lauren Fagan, mais cela ne nous empêche pas d’être sensibles à son jeu scénique, tandis qu'Erica Petrocelli porte le glamour sur les épaules de Stella. Le double visage de la Muse et de Nicklausse est chanté dans la soie et la vie par Alexandra Kadurina, en dépit de quelques approximations. La règle de quatre sied admirablement à Andrew Foster-Williams, qui par son phrasé matelassé et malicieux parvient à dévoiler une teneur spécifique à chacun des « diables » (de surcroît dans la langue française la plus raffinée de la distribution), ainsi qu’à Spencer Lang, drôle et technique à la fois dans les rôles bouffes. Le très touchant Wieland Satter et le vigoureux Thomas Erlank sont également à créditer de la réussite musicale, tout comme les apparitions sommaires mais très talentueuses d’Omer Kobiljak et de Yannick Debus.

Le chef Antonino Fogliani mène tambour battant les ensembles, et se montre bien plus magicien dans les passages dramatiques que dans la comédie. Bien qu’il doive faire face à des tuttistes de la Philharmonia Zürich parfois peu réactifs (dont des violons dérapeurs), il assortit les sucreries visuelles du plateau avec un goût auditif bienvenu. Il est encore ardu de se prononcer exactement sur cette direction d’orchestre opérée à un kilomètre de l’Opéra et restituée en audio dans la salle, comme les précédentes productions de cette saison dictée par les frasques COVID. Il n’empêche que le dispositif fait ironiquement ses preuves ici : la prestation sous cellophane de Saimir Pirgu, d’une exactitude clinique et d’une beauté trop sourde, ne peut même pas se justifier par des décalages avec les instrumentistes ou des soucis techniques...

Thibault Vicq
(opernhaus.ch, 11 avril 2021)

Les Contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach, disponible sur le site de l’Opernhaus Zürich jusqu’au 30 avril 2021

Crédit photo © Monika Rittershaus

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