Gypsy à l’Opéra national de Lorraine : Broadway sera toujours Broadway

Xl_gypsy___jean-louis_fernandez_10_-_copie © Jean-Louis Fernandez

Gypsy n’a absolument rien à voir avec Gipsy, l’opérette de Francis Lopez créée au Théâtre Sébastopol de Lille fin 1971. Aux origines de cette « fable musicale » de Jule Styne (également compositeur des Hommes préfèrent les blondes et de Funny Girl) née à Broadway en 1959, les mémoires de l’artiste burlesque américaine Gypsy Rose Lee, qui a d’abord sillonné les États-Unis pendant la première moitié du XXe siècle avec sa sœur dans des numéros mis au point par leur mère un brin control freak, avant de prendre son envol grâce à l’effeuillage dans les cabarets, spécialité qui l’a rendue star dans son domaine. Dans la comédie musicale, on suit donc la jeune Louise, effacée derrière June, préférée par leur génitrice Rose qui essaie de convaincre (souvent à l’usure) les directeurs de théâtres de les programmer. Herbie, un ancien agent, prend la famille monoparentale sous son aile lorsqu’il tombe amoureux de Rose, et s’occupe de programmer la troupe nouvellement formée. Les envies d’indépendance poussent certains de ses membres, et plus particulièrement June (la chouchoute) à quitter l’aventure de la tournée perpétuelle sous l’usant joug de Rose. Maintenant, c’est Louise qui doit reprendre le flambeau, handicapée par des années de mise à l’écart par rapport à sa sœur June. Un contrat décroché « par erreur » par Herbie dans un théâtre de burlesque pousse Louise à se réinventer. De ville en ville, elle gagne ses galons au fur et à mesure que la quantité finale de vêtements sur sa peau diminue, sous son pseudo Gypsy Rose Lee.

À l’occasion de la création française (!) de cette comédie musicale fondatrice, Natalie Dessay et le metteur en scène Laurent Pelly ont été soutenus par une coproduction de choix (Philharmonie de Paris, Opéra national de Lorraine, où débute le spectacle, Théâtres de la Ville de Luxembourg, théâtre de Caen et Opéra de Reims) dans une version semi-scénique où l’orchestre, visible et divisé par des passerelles, agit en tremplin de l’action. Le dispositif unique permet ainsi de passer outre la pluralité de lieux listés par le livret d’Arthur Laurents, tout en se concentrant sur les personnages. Laurent Pelly évoque l’écume du feu de la rampe, des personnages avalés par ce décor ingénieux qui pourrait représenter Rose, finalement véritable protagoniste de l’œuvre (et ce n’est pas pour rien qu’apparaissent les lettres R, O, S et E en arrière-scène pendant le finale). Cette présence complète, jusque dans le pas et dans l’ombre – lumières de Marco Giusti – phagocyte sûrement le reste du plateau, dont il oublie la sexytude dans le propos, et souvent l’énergie (elle-même en-deçà de la musique instrumentale, y compris dans les chorégraphies, pourtant inventives, de Lionel Hoche). On parle de strip-tease, mais il faut se faire violence pour voir de la chair ! Non sans efficacité, la production semble finalement assez lisse.

Gypsy - Opéra National de Lorraine (2025) (c) Jean-Louis Fernandez
Gypsy - Opéra National de Lorraine (2025) (c) Jean-Louis Fernandez

À Broadway, on sait chanter, danser et jouer. Ce Gypsy, en revanche, souffre d'une distribution non-irréprochable dans les trois domaines… Natalie Dessay est une formidable actrice, au corps qui ne fait qu’un avec le discours, à la verve en fusion, mais son instrument usé fait davantage montre d’interprétation que de musique, qui plus est dans un anglais peu optimal. Les problèmes de placement et d’essoufflement s’accumulent, malgré ses tentatives de diversification d’émission. Si sa fille Neïma Naouri, dans le rôle de Louise / Gypsy Rose Lee, trouve toujours l’émotion exacte de l’expression vocale coulée de rosée, son jeu parlé (crié ou distancié) pose souvent problème. Du côté de l’Herbie très immobile (Daniel Njo Lobé), on ne retiendra que le timbre posé des graves. Le peu de réjouissances de justesse et de phrasé chez Medya Zana (June) est oublié grâce à l’agilité d’Antoine Le Provost, et surtout aux meneuses de revue (Barbara Peroneille, au bagout incomparable, la volcanique Marie Glorieux et la féline Kate Combault).

Heureusement, il y a les good vibes, remplies de flow, de l’orchestre Les Frivolités Parisiennes pour faire virevolter et swinguer la musique de Styne dans de grands blocs malléables. La baguette tendre et souple de Gareth Valentine a bien compris que le rythme était davantage un soutien qu’une fin en soi, que les textures devaient s’étendre comme une riche aquarelle encore humide. Elle ne reste jamais en surface, et l’harmonie décolle à coup sûr. La fougue de Broadway était au moins là, place Stanislas.

Thibault Vicq
(Nancy, 2 février 2025)

Gypsy, de Jule Styne (musique), Arthur Laurents (livret) et Stephen Sondheim (paroles) :
- à la Philharmonie de Paris (avec l’Orchestre de chambre de Paris) du 16 au 19 avril 2025
- au Grand Théâtre du Luxembourg du 30 avril au 3 mai 2025
- au théâtre de Caen et à l’Opéra de Reims, prochainement

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