Hulda, de César Franck, déterrée par le Palazzetto Bru Zane

Xl_2022.05.15_hulda__photos_anthony_dehez___5_ © Anthony Dehez

Réveiller les morts cause souvent de fâcheuses déconvenues dans les œuvres de fiction. Si le Palazzetto Bru Zane s’est fait spécialiste de littérales redécouvertes (à l’instar de la récente « version longue » de La Vie parisienne), il réussit également à étendre le répertoire de titres oubliés. La vie s’est avérée injuste avec Les Abencérages de Cherubini (apprécié en mars à Budapest) ; on ne peut pas en dire autant d’Hulda, premier opéra de César Franck présenté en ouverture du 9e festival parisien du Centre de musique romantique française. Sur 2h43 (hors entractes), la musique fait beaucoup de sur-place, tente le majeur-mineur sur une même basse, module sans trop savoir pourquoi, prend très au sérieux son abstraction de remplissage. Mais pire que tout cela : elle ne médite pas sur ses personnages, ne les anticipe pas. Alors tandis que l’heure tourne on attend jusqu’au bout que l’œuvre commence. Vincent d’Indy, ancien élève du compositeur, l’écrit d’ailleurs a posteriori : « Franck se contenta de faire de la belle musique sans chercher une nouvelle expression dramatique qui ne pouvait lui être suggérée par les textes mis à sa disposition. » Et tout à coup, un OVNI apparaît dans cette morne météo des sons : un ballet symphonique, c’est-à-dire le seul écart vis-à-vis de cette écriture vocale wannabe et « à la manière de ». Là seulement scintillent le génie de coloriste et les humeurs musicales, car les phrases prennent le temps de se déployer au lieu d’être interrompues par une prosodie mal fagotée.

En se penchant sur la vie de César Franck, on comprend mieux cette partition éclatée, qui veut durer coûte que coûte. Il était en effet chargé de classe d’orgue au Conservatoire de Paris, et jouait lui-même à la messe. Il cultivait donc la science exacte de l’improvisation et de la pirouette harmonique pour coller aux besoins de l’imprévu, et non de commandes pour les maisons lyriques. Il est dit que l’Opéra de Paris n’a pas voulu d’Hulda en raison de son aspect sanglant – c’est l’histoire d’une guerrière norvégienne qui venge sa famille –, et la création (posthume) n’a eu lieu qu’en 1894 à l’Opéra de Monte-Carlo, neuf ans après l’achèvement de la partition, dans une version dépecée. Le travail musicologique convoque donc tous les esprits, en vue d’un enregistrement pour son label. Et malgré les réserves qu’on a sur la matière même, la séance de spiritisme sur cette musique inanimée (sur le plan physiologique) ne vire pas au slasher movie, grâce à l’interprétation honorable qui en est faite, ici au Théâtre des Champs-Élysées.

Le chef Gergely Madaras fait marquer au trait gras la ligne de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, pilier indéniable de la soirée par son souffle mystique, ses lèvres endurantes, ses doigts cornés et ses bras souples. Il décrit l’instantanéité des segments musicaux à l’aide d’une articulation instrumentale extrêmement synchronisée. L’Hulda de Gergely Madaras est concrète, droite comme l’héroïne, foudroyante sans sombrer dans la caricature. Les pupitres font si bien son commun qu’on a même parfois du mal à saisir l’écoulement des parties intermédiaires. L’écriture divagante de César Franck ne se clarifie pas pour autant, hormis, encore une fois, dans l’incongru (et non moins superbe) ballet.

Le Chœur de Chambre de Namur a sacrément bien travaillé avec Thibaut Lenaerts. Tantôt source jaillissante et tresse entrelacée, il vient à bout de nombreuses parties très exposées, menées au millimètre près. Malgré une prononciation française émergente, Jennifer Holloway défend assez favorablement le rôle-titre. L’attaque spontanée lui donne l’impulsion d’une exploration du personnage, dans l’éclat de l’amour et de l’honneur. La colère sourde du début se transforme peu à peu en sorts plus ciblés envers ses adversaires. Le ténor Edgaras Montvidas laisse sentir le goût du sang dans ses inflexions instinctives. On entend la musculation des notes sous forme de cascades en suspension, parfois volontairement enlaidies pour brosser un portrait de méchant complet, à d’autres moments moins contrôlées dans les forte. Véronique Gens sait prioriser les notes capitales, mais semble peu inspirée par la phrase sur son ensemble. Judith van Wanroij use vocalement de la mobilité douce, et se combine avec talent à l’excellent Matthieu Lécroart, ainsi qu’au trio d’assassins d’Artavazd Sargsyan, Sébastien Droy et Guilhem Worms.

La sorcellerie fonctionnera peut-être mieux avec le mixage du disque. En attendant, réveiller Hulda en concert n’aura pas entraîné de possession corporelle et psychique, en dépit d’artistes plein de bonne volonté.

Thibault Vicq
(Paris, 1er juin 2022)

Le Festival Palazzetto Bru Zane Paris se tient jusqu’au 29 juin 2022. Parmi ses temps forts :
- Phryné, de Camille Saint-Saëns, à l’Opéra Comique le 11 juin
- La Vestale, de Gaspare Spontini, au Théâtre des Champs-Élysées le 22 juin
- Concert de mélodies françaises au Théâtre des Champs-Élysées le 29 juin

Crédit photo (c) Anthony Dehez

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