En ouvrant le programme de salle, on commence la soirée en ayant l’impression de s’être un peu fait avoir sur la marchandise. Julian Prégardien, qui revenait en Île-de-France après son récital COVID filmé à la Cité de la musique avec son père, ne chantera finalement pas ses airs d’Orlando Paladino de Joseph Haydn. Ils sont remplacés par une symphonie de Michael Haydn (frère cadet de Joseph et très bon ami de Mozart). Si le titre du concert (« Mozart – Haydn, airs d’opéra ») ne fait pas erreur sur le nom de famille des compositeurs, les trois interventions du ténor s’avèrent assez sommaires. Il faudra donc vraiment les savourer.
Les interventions de Julian Prégardien sont faites de la matière des rêves, d’une voix de tête enivrante qui par son homogénéité rend imperceptibles à l’oreille les difficultés de la ligne mélodique. Les appoggiatures, du meilleur effet, se mesurent à l’aplanissement fascinant de l’écriture. La pureté mozartienne lui inspire une clarté molletonnée dans un legato du firmament, en particulier dans l’aria « Pier pietà, non ricercate » (Bastien et Bastienne). La rançon de la gloire, c’est le passage à la voix de poitrine franche, qui noie l’aquarelle jusqu’alors si bien tamisée. Les aigus perdent en justesse et le phrasé gagne en cassures, sans parler de sa première incarnation de Belmonte (L'Enlèvement au sérail), frêle et maladroite. Le ténor gratifie toutefois le public d’un très touchant air de Don Ottavio en bis (Don Giovanni). Il y expose le courant de certitudes du personnage et le meilleur de ce qui fait partie du fiancé de Donna Anna, dans cette horizontalité caractéristique.
Stefan Gottfried et le Concentus Musicus Wien – ensemble fondé par Nikolaus Harnoncourt – n’y vont pas avec le dos de la cuillère sur les forte de l’ouverture de L’Enlèvement au sérail… mais tel était le but de Wolfgang en la composant ! On croit d’abord que les seuls contrastes vont être brandies en étendard, mais on se laisse vite entraîner par la synergie des relais d’instruments. Les cordes répliquent le son des vents, et toute l’énergie de la musique se trouve dans son for intérieur. La clé intrinsèque est un moteur qui ne montre de faiblesse à aucun moment. Les nappes en volutes nuageuses accompagnent les travées mesurées, à moins que ce ne soit le contraire. Pendant ce temps, les basses s’alimentent de la substance des timbres unis sous un même drapeau. La netteté des fantastiques cordes, due à un consensus des longueurs d‘archet, trace des chemins parallèles sachant creuser leur écart pour mieux se rejoindre par la suite. La 35e Symphonie de Mozart restitue dans son premier mouvement l’exactitude d’une détonation au cœur du réacteur, comprimant et fissurant la matière avec brio. L’Andante se construit comme une bulle d’accords : les notes arpégées sont à leur place pour servir de base aux divagations des contrechants ou des ornements. Certains instrumentistes participent à la sécurité de l’accord, d’autres diffusent au sein de cette magique suspension. Le chef sculpte de sa baguette des averses claires et des trombes d’eau dont on ressent chaque goutte sur la peau. La souplesse du tempo n’y est pas étrangère. La qualité d’écoute des musiciens non plus. Un je-ne-sais-quoi instinctif les relie tous. L’alchimie des applaudissements leur en sait gré.
Ce concert constituait un élément du Festival Mozart Maximum, en place jusqu’au 30 juin à La Seine Musicale.
Thibault Vicq
(Boulogne-Billancourt, 23 juin 2021)
Crédit photo (c) Thibault Vicq
24 juin 2021 | Imprimer
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