Le retour des festivals en 2021 nous rappelle la tristesse de leur achèvement. Après le Festival Radio France Occitanie Montpellier il y a quelques jours, c’est au Verbier Festival de plier bagage avant de nouvelles aventures en 2022. L’édition 2021 n’en aura pas manqué, avec l’annulation des concerts avec le Verbier Festival Orchestra – suite à la détection de cas de Covid parmi les musiciens –, incluant notamment La Fanciulla del West et Tristan et Isolde. Le traditionnel opéra de l’Atelier Lyrique et du Verbier Festival Junior Orchestra à la toute fin de ce partage musical de plus de deux semaines dans les Alpes suisses est à sa place : l’indémodable Bohème est au programme.
Un concert des jeunes chanteurs fin juillet nous avait déjà habitué l’oreille avant cette version de concert. Le ténor coréen Sungho Kim – récompensé la veille du Prix Yves Paternot désignant l’étudiant le plus prometteur de la Verbier Festival Academy – confirme précisément toutes les attentes de son teaser en Rodolfo. Il n’y a qu’à entendre les moelleuses facilités de la voix, qui surfe sans mal – et, chose extrêmement importante, sans dégoulinades – sur les vagues de Puccini. Nous nous habituons vite à ses aigus splendides et à son phrasé qui défie les changements d’état du personnage – ici interprété dans un cœur de gentillesse et d’illusions perdues –, mais c’est la nouveauté perpétuelle de ses idées musicales qui crée l’attente, celle du suspense et des étoiles dans les oreilles pour le spectateur. Sa partenaire Sylvia D’Eramo est une Mimì empreinte du temps qui passe, mais s’intéresse davantage à la vie « acquise » du personnage, plutôt qu’aux présentations avec le public et à l’agonie de la jeune Parisienne. Le premier acte manque un chouïa de l’humilité de la voisine en quête de flamme, malgré une voix très touchante ; la mort de Mimì omet de synthétiser l’émotion d’une existence. Le reste de la représentation est un régal d’écoute grâce à une projection et à une technique imparables au service de la partition. Elle campe une femme de secrets, à la respiration discrète, à la prestance évidente ; sa ligne en textures cotonneuses dessine l’inspiration qu’elle fait naître chez Rodolfo. Elle n’a jamais besoin de forcer le trait pour exprimer ses intentions ; il en est de même du couple qu’elle forme avec Sungho Kim. Cela coule de source !
S. Marsh - Al. York - S. Kim - J.-P. Mc Clish - E. Jowle -
La Bohème Verbier Festival 2021 © Janosh Ourtilane
À part quelques accrochages superficiels qui atténuent la fluidité complète de ses phrases, Stephen Marsh est le Marcello confident que nous avons plaisir à entendre sur scène, d’autant que plus que son timbre cajoleur s’annonce d’emblée comme un grand atout. Les forte un peu rugueux d’Alexander York (Schaunard) semblent le bloquer dans l’exploration expressive. Edward Jowle (Colline), visiblement sous le coup du stress, intègre cependant les inflexions pucciniennes à son registre riche. Avec une précision rythmique plus affutée et une ouverture de voix plus généreuse, Jean-Philippe Mc Clish camperait Benoit et Alcindoro avec davantage de malice. Nous aurions attendu un peu plus de naturel dans la liberté de Musetta, étant donné les belles capacités d’Erika Baikoff. Le parfum de séduction inévitable lui tend les bras à l’avenir.
Le chef James Gaffigan marche d’abord sur des œufs avec le Verbier Festival Junior Orchestra : peu de changements de tempo, nuances peu diverses. Puis il colore les volumes instrumentaux de tenues bien assises et d’appoggiatures bien marquées, suit le diagramme émotionnel des personnages, noue chaque fragment harmonique au suivant. Cette gradation donne confiance aux jeunes instrumentistes, qui finissent par livrer un dernier acte en remarquables filets sonores, soupirs éloquents et respirations mélodiques. Les scènes de vie de bohème se défragmentent, se recollent, à l’image de notre rapport de spectateur aux festivals qui nous avaient tant manqué.
Thibault Vicq
(Verbier, 1er août 2021)
Crédit photo © Janosh Ourtilane
04 août 2021 | Imprimer
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