La Chauve-souris à mille à l’heure, à l’Opéra de Lille

Xl_la_chauve-souris_-_op_ra_de_lille__c__simon-gosselin-133 © Simon Gosselin

L’annonce d’une production de La Chauve-souris de Johann Strauss fils par Laurent Pelly à l’Opéra de Lille coulait de source. On est d’ailleurs surpris qu’il ne l’ait pas mise en scène plus tôt, tant l’univers de l’opérette lui colle à la peau, la plupart du temps pour le meilleur : souvent dans la finesse humoristique, jamais dans la pochade vulgaire, même sur les Offenbach qui évoluent plutôt en-dessous de la ceinture. Ce qu’on ne sait pas toujours, c’est que Die Fledermaus est l’adaptation autrichienne d’une pièce française de Meilhac et Halévy (Le Réveillon), elle-même issue d’une comédie allemande (La Prison / Das Gefängnis). Laurent Pelly se replace ainsi dans le contexte d’une Saint-Sylvestre hexagonale, dans la bourgade de Pincornet-les-Bœufs (comme dans le texte originel du duo de dramaturges). La traduction française des airs par Moshe Leiser et Patrice Caurier fonctionne bien, au même titre que de la fine réécriture (en savoureuses allitérations et rimes) des dialogues par Agathe Mélinand.

Laurent Pelly électrise la scène comme on illumine subitement une salle de bal plongée dans l’obscurité. Il opère un habillage des décors fonctionnels (au demeurant si hideux qu’on se fait même violence à soutenir trop longtemps un regard général pendant les deux premiers actes) par les corps et le mouvement dans un « vaudeville augmenté », punchy et distancié d’ironie. L’espace est un peu flottant, mouvant, de traviole, à l’image de ses personnages ivres en quête de toujours plus d’alcool et d’ascension sociale / de domination. Si la drôlerie émane de l’exagération des intentions, on salue particulièrement la continuité de rythme entre le parlé et le chanté, ainsi que la volonté de ne pas atténuer le côté parfois sordide de l’intrigue (notamment à la fête du II), tout cela permis par une exigence extrême de direction d’acteurs.


La Chauve-Souris - Opéra de Lille (2024) (c) Simon Gosselin

Le Chœur de l’Opéra de Lille se prête à l’exercice avec une énergie communicative, dans une approche arachnéenne étendant sa toile et ses fils, bien qu’il ait parfois tendance à tirer le frein à main vis-à-vis du flux orchestral. Du plateau vocal francophone, on retiendra davantage la qualité du chant, du jeu et de l’engagement physique – presque l’équivalent d’une séance de fitness ! – que la prononciation, (le plus souvent) approximative, des airs. Adèle se fait magnétique et virtuose sous les traits de Marie-Eve Munger. Les vocalises entrent avec naturel dans le flux des répliques, toujours par une présence musicale « matérielle ». Guillaume Andrieux incarne l’inconstance et le peu de scrupules du mari Gaillardin en proportion inverse de qualités artistiques : définition et fiabilité en toutes circonstances. Son épouse trouve en Camille Schnoor une stupéfiante palette expressive et volumique, qui transpire de théâtre et d’un intarissable talent comique de la phrase. Le timbre aux tons cognac-orangé de Julien Dran sert une superbe extase de liberté, à la ligne longue et réjouie. La maîtrise de l’Orlofsky zozoteur d’Héloïse Mas est un tour de force, quand Franck Leguérinel se surpasse en hilarant directeur de la prison.

L’ultime joie de la soirée, et non des moindres, échoit en fosse à Johanna Malangré, qui prend véritablement cette partition au sérieux sans la transformer en bouffonnade trop millimétrée. Elle s’attache non seulement à conjuguer articulations métissées et souplesse de strates, mais également à perpétuer le mouvement en fil rouge. Ce mouvement prend la forme d’une imprimerie, d’un volant de badminton, d’un tour de manège du Prater – la caution viennoise –, d’un ensemble de couleurs qui, par leurs détails et leur richesse, élaborent une bande dessinée haletante. Les bulles se mêlent au cristal des coupes, les états de déchéance physique (par l’alcool) sont transmis via un Orchestre de Picardie – dont Johanna Malangré est depuis 2022 la cheffe titulaire – généreux et aux aguets, même si les violons tombent souvent à côté de leurs aigus.

L’Opéra de Lille conclut donc en beauté sa saison des anniversaires !

Thibault Vicq
(Lille, 4 juin 2024)

La Chauve-souris, de Johann Strauss fils, à l’Opéra de Lille jusqu’au 17 juin 2024
Retransmission en direct dans 17 lieux des Hauts-de-France, le 13 juin 2024 à 20h

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