La Reine des neiges à l’Opéra national du Rhin : entendre le conte

Xl_la_reine_des_neiges_-_op_ra_national_du_rhin___klara_beck © Klara Beck

Quelle musique les éléments et le temps qui passe font-ils ? Les mystères de la nature se cristallisent sous les projecteurs du festival Musica à l’écoute de La Reine des neiges, premier (et pour l’instant unique) opéra de Hans Abrahamsen. Le compositeur danois s’est éveillé à l’écriture vocale par l’intermédiaire de Barbara Hannigan, à qui il a d’abord composé le fabuleux cycle let me tell you. En 2019 a donc lieu Snedronningen en première mondiale à Copenhague en danois. Quelques mois plus tard, c’est une version en anglais (The Snow Queen) qui est étrennée dans une nouvelle production à Munich, avec la soprano canadienne. Cette même traduction est actuellement à portée de public en création française à l’Opéra national du Rhin, en ouverture de son affriolante saison « Il était une fois ». Mise en scène pour la troisième fois en un peu plus de deux ans, l’œuvre a tout pour plaire.

La Reine des Neiges - Opéra National du Rhin (2021)
La Reine des Neiges - Opéra National du Rhin (2021)

La Reine des Neiges - Opéra National du Rhin (2021)
La Reine des Neiges - Opéra National du Rhin (2021)

On ne peut en aucun cas faire l’impasse sur cette partition, qui ne caractérise pas seulement les personnages par leurs traits, mais par tout ce qui les entoure : une musique de circonstance, presque documentaire et scientifique, s’attachant au taux d’humidité, au bruit du vent ou aux forces physiques. Hans Abrahamsen convoque ainsi l’ouïe jusqu’au toucher grâce à un calibrage exact des différents numéros – il indique même le minutage en cours de composition – et de leur contextualisation. Il travaille d’ailleurs à partir de l’arithmétique pure sans pour autant s’enfermer dans un carcan formaliste. Il insère une mathématique de l’enchevêtrement et de la superposition si subtile dans ses portées, que ce qui ressort de l’orchestre, en apparence simple, relève en fait d’un artisanat méticuleux et d’une logique de longue haleine. Les motifs de notes conjointes, les intervalles de neuvième et les séries permises par la subdivision des pupitres alimentent des canons ou des couleurs qui embellissent l’abécédaire de ce langage qu’on ne prend généralement pas le temps d’écouter dans son habitat naturel. La neige tombe et la glace fond, les corbeaux croassent et les roses se fanent ; on entend tout cela car on n’a pas besoin de l’imaginer, c’est là, devant soi. Rien dans la musique ne favorise le culte du personnage. D’ailleurs, l’humanité y est dépeinte avec optimisme, par cette capacité à passer outre les obstacles et les défauts. Le pardon et la bienveillance ont leur rythme à eux. Les quatre-vingt-six instrumentistes alertes de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg n’ont aucun mal à se lover dans cet univers au gré des saisons. Robert Houssart, qui a dirigé la création au Royal Danish Opera, déploie sa baguette pour faire fondre significativement la masse sonore et arriver à d’extraordinaires changements d’état. Les métriques indétectables se juxtaposent dans les labyrinthes frissonnants de la métaphysique et les timbres se mêlent en lévitation. L’immobilité par le mouvement, la discrétion par le nombre, c’est un métier que le chef met aisément en pratique, dans des conditions d’autant plus difficiles que la formation est sur scène !

La Reine des Neiges - Opéra National du Rhin (2021)
La Reine des Neiges - Opéra National du Rhin (2021)

Dans ce conte d’Andersen, Kay et Gerda sont deux enfants qui partagent leur amitié autour des fleurs et du jeu, jusqu’à ce que Kay soit imprégné d’un fragment de miroir maléfique qui lui fait voir négativement le monde, avant d’être enlevé par la Reine des neiges. Gerda part vers le nord à la recherche du garçon, où elle fera la connaissance d’une panoplie de personnages marqués par le sceau de la vie humaine ou animale… Le rôle principal est bien celui de Gerda, dont la soprano Lauren Snouffer souligne les traits extravertis et chante les lignes comme les premières lueurs du jour, dans la souple métamorphose de la lumière. Le jeune Kay est interprété par une mezzo-soprano, la formidable Rachael Wilson, suavement égale dans tous les registres. La Reine des neiges, pensée comme une prolongation de Sarastro et Wotan, profite du soutien assuré de la basse David Leigh – en dépit de quelques petits graves difficiles à atteindre –, qui laisse entrevoir de plus amples facettes vocales encore en Renne. La voix charnue de Helena Rasker dispense une interprétation bouleversante de ses trois femmes âgées. Des Corneilles loufoques (Michael Smallwood) et insaisissables (Théophile Alexandre), une Princesse poétique (Floriane Derthe) et un Prince attendrissant (Moritz Kallenberg) sont au programme des réjouissances, par une distribution de très haut vol, sans exception.

La conception du spectacle par James Bonas et Grégoire Pont fait cohabiter la fidélité des situations (costumes sensationnels de Thibault Vancraenenbroeck), à l’aide des personnages, et l’évasion des projections (vidéos magiques de Grégoire Pont) définissant le cours du temps et des situations. Le tandem préfère rester dans le domaine du conte atemporel plutôt que de s’aventurer sur le terrain de la féerie kitsch ou du drame social. Le bonbon a très bon goût sur le moment, même si en fin de compte l’hybridation du relief théâtral et de l’illustration dynamique sur écran peuvent parfois créer un manque de l’une ou l’autre partie (au contraire de la Flûte enchantée de Barrie Kosky, qui assumait complètement son côté cartoon). Il n’empêche que ces constituants de mise en scène apportent une transversalité, qui ayant réussi à se faire entendre, finit par pouvoir s’observer.

Thibault Vicq
(Strasbourg, 15 septembre 2021)

La Reine des neiges (The Snow Queen), de Hans Abrahamsen, à l'Opéra national du Rhin (Strasbourg puis Mulhouse) jusqu’au 3 octobre 2021, dans le cadre du festival Musica

Festival Musica, à Strasbourg jusqu’au 10 octobre 2021

Crédit photo © Klara Beck

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