Après entre autres une version concertante de La Giuditta de Scarlatti à la Grange au Lac et une production de L’isola disabitata de Haydn à l’Opéra de Dijon, les artistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris continuent leurs actifs périples scéniques avec le traditionnel gala de début d’année au Palais Garnier. À la veille de nouvelles Noces de Figaro sous le plafond de Chagall, le tapis rouge est déroulé à Mozart, dans une séduisante mise en espace de Victoria Sitjà. Si le choix musical peut manquer d’originalité voire d’ambition, étant donné le programme 100% Mozart déjà donné à l’Amphithéâtre Bastille en septembre 2020 avec quelques mêmes académiciens dans les mêmes rôles, le compositeur de Salzbourg reste un révélateur de talents, et ses partitions une « école de la vie » d’artiste. Nous n’allons pas nous en plaindre !
Ce sont d’ailleurs deux nouveaux étudiants de la promo qui nous scotchent au fauteuil. Martina Russomanno offre l’air le plus bouleversant de la soirée avec un extrait d’Idomeneo. Rose empoisonnée à la fabuleuse expressivité, elle crée immédiatement une connexion avec la salle. Les ramifications intenses de la voix et l’émotion extraordinaire qui en émane, tout comme l’agencement parfait des nuances, pétrifient de bonheur. En Fiordiligi, elle chérit la prosodie ; en Donna Elvira, elle s’accomplit dans la colère. Elle ne fait que confirmer la théorie du coup de foudre artistique complet. Yiorgo Ioannou est quant à lui un Don Giovanni hautement raffiné, attaché à l’ornement. Il explore toute l’ambigüité du séducteur par une superbe patine du timbre, qui lui permet de donner de l’ampleur à ses phrases rebondies. Même dans la peur ressentie par le personnage dans le finale, il garde une dignité et une distance gorgées d’un charme fou. Encore une bonne pioche à l’Académie !
Niall Anderson est sur tous les fronts, remplaçant son camarade Andriy Gnatiuk « souffrant ». Il campe un agréable Figaro sans excès de substance, semblant parfois tirer sur son instrument derrière son masque. C’est par la précision rythmique qu’il tire son épingle du jeu, et le charisme de son Leporello rattrape les inexactitudes et incomplétudes de son Don Alfonso. Alexander Ivanov défend le registre de baryton avec une touchante humanité et une poignante profondeur musicale. Malgré une justesse des aigus en work in progress, Aaron Pendleton aiguise avec assurance le silex sonore du Commandeur jusqu’au feu envoûtant de tenues assurées, et fait vaillamment entrer Sarastro dans l’atmosphère du lied et de l’intime. Fernando Escalona tire profit de tout le potentiel dramatique de Farnace (Mitridate). Les lignes se divisent en une variété de segments d’humeurs qui déploient une véritable richesse de couleurs et impliquent une écoute renouvelée de l’air, plus libérée. Si la soprano Si Kseniia Proshina ne montre pas encore tout ce dont elle est capable dans le rôle de Zaïde, elle s’avère remarquable dans l’affect nourricier dont elle se recharge. Susanna et Donna Anna lui sont plus seyantes, comme un élixir de vitalité. Lise Nougier incarne une Zerlina étonnamment mélancolique, dont la froideur mate et mesurée est un argument important dans sa résistance face aux hommes, tandis que Dorabella est un mât de confiance. Enfin, l’admirable légato de Kiup Lee est un outil qui lui permet de surmonter une nervosité encore ponctuée de quelques incertitudes de notes.
Unité des pupitres, beauté des solos, esprit de corps, cohérence des textures… l’Orchestre de l’Opéra national de Paris est à son meilleur. Vello Pähn, à sa tête, n’essaie pas d’affilier sa vision de Mozart à un courant, à un usage ou à une mode. Le cristal de l’harmonie y est, la sincérité des relais s’y épanouit. Les instrumentistes réussissent à creuser les balafres à travers les accents. Derrière la pureté de façade se cachent des sentiments fougueux, qui vont crescendo au cours du concert. L’orchestre se montre de plus en plus vivifiant et mouvementé, jusqu’à la déflagration du finale de Don Giovanni.
Thibault Vicq
(Paris, 20 janvier 2022)
Il Nerone - L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi :
- à l’Athénée Théâtre Louis-Juvet (Paris 9e) du 2 au 12 mars 2022
- à l’Opéra de Dijon (Grand Théâtre) du 20 au 26 mars 2022
- à la Maison de la Culture d’Amiens le 1er avril 2022
Commentaires