L’Opernhaus Zürich s’est lancé l’année dernière dans un projet de créations mondiales annuelles, commandées à des compositeurs suisses. Après Der Traum von Dir de Xavier Dayer en décembre 2017, et avant Girl with a Pearl Earring de Stefan Wirth, en mai-juin 2020, Last Call de Michael Pelzel s’insère dans la saison 2018-2019. N’y allons pas par quatre chemins : l’œuvre frappe juste et fort en un extraordinaire concentré de thématiques actuelles, guidé par une musique dont l’inventivité cloue de stupéfaction.
Dans un futur proche, les merdias et autres journalopes auxquels certains s’appliquent aujourd’hui à associer tous les maux de la société, n’existent plus sous la forme que nous connaissons. La communication, de façon plus large, s’est automatisée avec les machines jusqu’à un point de non-retour et, échappant à tout contrôle, menace la survie de l’espèce humaine. Quatre hurluberlus présentent leur solution radicale pour sortir de cette crise, sur le plateau d’un talkshow débile à fort taux d’applaudimètre imposé. L’évacuation des Terriens vers la planète Elpisonia semble mettre le plus de spectateurs d’accord, surtout que la fameuse tempête de megabits tant redoutée commence à ravager le monde. Un homme et une femme ratent le coche, et se retrouvent bloqués sur terre une fois le vaisseau envolé…
Le livret de Dominik Riedo fait tenir en peu de mots les bases d’un univers SF passionnant, rongé par des guerres et résistances qui nous échappent. Les personnages doivent prendre leurs décisions sur le fait accompli, ce qui détermine un rythme de narration particulièrement soutenu. Il nous place d’emblée in medias res, au contact d’une technologie dont les humains sont devenus prestataires. Johnny et Sulamit, retardataires de la navette spatiale, sont contraints pour dialoguer de recréer les codes de conduite qu’ils avaient enfouis. Le verbe vif et l’ironie griffante emballent sans réserve, autant que la musique congruente de Michael Pelzel.
En effectif de chambre, l’Ensemble Opera Nova est d’un « waouh » flagrant, emporté par Jonathan Stockhammer. Complètement dans son élément, le chef dirige cette partition désenchantée dans un contrat de confiance avec les instrumentistes. Sons électroniques, motifs à partir de jingles, recréation acoustique de bruitages font notamment partie du panorama. La profusion de l’écriture percussive demande une nouvelle attitude d’écoute dans le spectacle car le sound design devient le fait de chacun. L’effectif, formé d’un quintette à cordes, de deux pianos préparés (dont l’un accordé à la sixte), de percussions et de claviers est la voie ouverte à l’expérimentation. Des bidons remplis de liquide, des verres en cristal et des tuyaux complètent un attirail propice aux sonorités d’ailleurs (à la Terre). Michael Pelzel utilise à la fois les codes musicaux du conte en dessin animé, les danses baroques et notre environnement auditif pour synthétiser un tsunami futuriste englobant les repères de la civilisation occidentale en décrépitude, pour y intégrer lucioles d’harmoniques, glissandi obsédants ou nappages déchiquetés.
La mise en scène très allemande de Chris Kondek suit cette feuille de route vivifiante sans panne d’idées. La pop culture d’anticipation vintage (Blade Runner) et post-11-Septembre (Hunger Games), creuse le sillon de la dystopie et de la machine omnipotente. Les distributeurs automatiques et le matériel de propagande sont les coutumes d’une société basée sur le travail à la chaîne et le culte du like. Le registre outrancier (et les costumes qui vont avec) convient à merveille à cette histoire dans laquelle les humains ont perdu la notion du vivre ensemble, et pour laquelle tous les recoins de la petite salle de la Studiobühne sont mis à profit.
En dépit de l’absence de surtitres multilingues (un peu malheureuse, avouons-le, pour une création qui se revendique suisse !), nous parvenons à nous frayer un chemin parmi une distribution de haut vol : un Ruben Drole halluciné et grondant, un Jungrae Noah Kim saillant, une Annette Schönmüller posée et généreuse, une Christina Daletska brodeuse, une Alina Adamski savoureusement minaudeuse et un imposant Thomas Erlank. Dernier appel : découvrez vite cette production avant son extinction !
Thibault Vicq
(Zurich, le 30 juin 2019)
Last Call, de Michael Pelzel, à l’Opernhaus Zürich (Studiobühne) jusqu’au 6 juillet
Crédit photo : (c) Herwig Prammer
03 juillet 2019 | Imprimer
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