Voilà au moins trois décennies entières qu’accentus bat la mesure des programmations internationales, du répertoire a cappella aux œuvres symphoniques, de l’oratorio à l’opéra. Le chœur de chambre créé par Laurence Equilbey a conté bien des itinéraires musicaux sur scène (comme l’évoquait récemment la chef en interview), et son concert des trente bougies choisit de proposer la dichotomie de Mendelssohn : une première partie de pages liturgiques, une seconde plus « païenne » avec La Dernière Nuit de Walpurgis, d’après un matériau littéraire de Goethe.
On peut ainsi tenir compte de l’exceptionnelle pâte sonore acquise par accentus depuis les années 90 : un Tetris de phonèmes et de notes agencé avec une trajectoire commune, une réaction en chaîne de messagers continus, un jeu d’aimants entre les voix, des individualités autonomes qui triomphent d’une cuisine partagée. Avec Insula orchestra – autre ensemble fondé par Laurence Equilbey –, le chœur semble prendre la forme d’un nuage en condensation ou en flottement au-dessus des lignes instrumentales, à la manière d’un curseur céleste qui précise peu à peu les traits d’un visage auditif. Des femmes et des hommes qui surplombent et joignent à la fois. Dans la cantate Vom Himmel hoch, hantée par Johann Sebastian Bach, ils exposent une souplesse sans faille et révèlent différents visages de la victoire. Dans le Christus inachevé, le magnifique choral « Es wird ein Stern aus Jacob aufgehn » figure la lumière d’un vitrail de cathédrale en carrefour de couleurs, tandis qu’ « Er nimmt auf seinen Rücken » sonne dans l’avancée phrasée plutôt que dans le note-à-note. L’extrait de Fragmenta Passionis de Wolfgang Rihm présente un pantone assez large de l’exclamation parlée.
Interview. Rencontre avec Laurence Equilbey, avant le concert des 30 ans d’accentus
Laurence Equilbey conçoit la direction des chanteurs et des instrumentistes tant par le tempo que par les silences de l’écriture, mais en donnant la priorité à l’empreinte complète des lignes. L’articulation musicale témoigne d’intentions limpides, concentrées sur l’énonciation et la gravure guidées par les basses et un légato baladeur entre les strates, plutôt que sur la métamorphose de la matière orchestrale. Le Christus en sort clair et brillant, avec la complicité des sforzandos qui nourrissent les suivants, ou avec la vertigineuse voltige des levées en effet domino. La baguette dessine alors des pinceaux de tailles variables. La droiture de la texture générale peut cependant s’avérer trop uniforme dans certains numéros de Vom Himmel hoch malgré la cohabitation de sable, d’eau et de feu. On sent aussi que la chef souhaite synthétiser l’orchestration touffue de Die erste Walpurgisnacht, sûrement pour la rendre plus lisible, mais on peut regretter de ne pas toujours y entendre les épis subversifs caractéristiques ou le nuancier complet. Les piano sont servis avec déférence par un méticuleux Insula orchestra, soignant vraiment son matelas de cordes, la netteté de ses articulations – en particulier chez les bois – et la montée en puissance de ses cuivres. Dans les forte, malgré l’orfèvrerie harmonique, une sorte de pacte d’équilibre se rompt, peut-être à cause de percussions trop affirmatives et d’une division de plans moins marquée, alors même que les pinceaux précités gardent leur pleine efficacité. En voulant trop servir l’écriture savante, Laurence Equilbey perd certains motifs en surimpression.
Côté solistes, Stanislas de Barbeyrac offre d’intéressantes variations sur la pesanteur de l’émission comme autant de caractères vocaux, Hélène Carpentier est un carillon de muguet délicat, Hilary Summers combine profondeur de timbre et assurance projetée. Veilleur furtif et druide à l’impulsion romantique du lever du jour dans Walpurgis, Florian Sempey assure souplesse et rondeur à ses interventions.
Le concert convoque bien tout ce qu’accentus sait faire. D’ici aux quarante ans, le chœur aura livré bien d’autre secrets !
Thibault Vicq
(Paris, 16 mars 2023)
Ce concert à la Philharmonie de Paris est en replay sur arte.tv jusqu’au 15 septembre 2023
19 mars 2023 | Imprimer
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