© Thibault Vicq
Toutes les belles histoires ont leur « Il était une fois ». Le gala des Grandes Voix Lyriques d’Afrique, accueilli ce week-end au Théâtre des Champs-Élysées, est né des projets de WOMEN OF AFRICA, une Organisation de Solidarité Internationale. Fondée en 2002 par Claire Tiemani, et désormais présidée par sa fille Patricia Djomseu, elle établit des projets de développement dans les 20 pays (dont 18 en Afrique) où elle est implantée. Aux côtés d’initiatives telles que la promotion de l’entrepreneuriat au féminin, l’accès à l’énergie ou la construction de centres de réinsertion, la culture est bien représentée. Africa Lyric’s Opera tisse ainsi depuis 2007 des collaborations avec l’Afrique dans le domaine lyrique, et permet la mise sur le devant de la scène d’artistes africains ou d’origine africaine, l’écriture d’œuvres nouvelles et l’accès au monde musical au public le plus large, notamment grâce à des programmes pédagogiques. Africa Lyric’s Opera s’est étoffée depuis deux ans du concours des Grandes Voix Lyriques d’Afrique – catégories Amateur, Jeune Espoir et Semi-Professionnelle –, qui s’accompagne de concerts avec ses institutions partenaires, plusieurs directeurs d’opéras français faisant partie du jury. Et c’est vers des chanteurs déjà forts d’une carrière internationale que cette soirée avenue Montaigne nous dirige.
La mezzo-soprano Raehann Bryce-Davis conquiert le public en deux airs. « Ô don fatal » (Don Carlos de Verdi) se fie à un cocon de timbre, à une chrysalide prête à se transformer, et qui retient prisonniers les débordements qui pourraient s’y dérouler, quand la gouaille d’ « I am easily assimilated » (Candide de Bernstein) assure un grand spectacle de scène et de voix. L’air le plus poignant revient à Masabane Cécilia Rangwanasha, pour son « Ebben andro lontana » de La Wally, restitué sur le sentier de la redécouverte, avec sublime mélange d’intensité dramatique et de proximité humaine. On est moins enthousiaste de Bonita Hyman, qui se décale trop souvent dans un extrait de Norma, et peine à transporter dans « Son nata a lagrimar » de Haendel, qu’elle partage avec le contre-ténor Patrick Dailey. Ce dernier ouvre d’ailleurs la soirée avec un « Vedro con mio diletto » (Vivaldi) à des inflexions très nuancées (et proches de l’effet d’un thérémine !), pleines d’idées de musique, bien que la longueur de souffle dans « Se bramate d’amar » (Serse de Haendel) n’exclue pas les dérapages incontrôlés de justesse. La technique est évidente chez la soprano Mariam Battistelli : il ne lui reste qu’à se détacher d’un certain statisme dans le chant à la lune de Rusalka pour faire décoller la mélodie vers d’autres cieux, pourtant atteints dans un Libiamo festif avec Yanis Benabdallah. Le ténor atteste d’une excellente santé vocale dans une Chanson de Kleinzach (Les Contes d'Hoffmann) diffusée par un timbre de clair-obscur. Grande classe sur Mozart et groove irrésistible sur Gershwin : le baryton Christian Rodrigue Moungoungou rafle la mise. François-Germain Manwell, moins, en raison d’une phrase distendue par le vibrato dans Les Noces de Figaro, et de capacités sur la corde raide dans Showboat.
La sémillante ouverture de Rousslan et Ludmilla (Glinka) donne un aperçu fidèle de la communion sonore à laquelle l’Orchestre de la Garde républicaine se tiendra pendant toute la suite du concert. Les cordes skient librement sur des pistes sculptées aux vents, et les notes respirent dans un flux foudroyant, au milieu d’une matière presque brahmsienne. Le Scherzo rythmique d’Alcee Chriss III place au premier plan des violoncelles et contrebasses espiègles, car la baguette précise de Sébastien Billard raconte la musique sur les lignes de basses. Si l’unité remarquable de l’ensemble instrumental peut parfois induire au chef des volumes parfois excessifs pour les chanteurs, les combinaison translucides de timbres sont légion. Chez Bellini, il dessine des cercles à la surface de l’eau dans des arpèges fluides de rosée, et Dvořák trace une trajectoire magique dans son évocation de la nature. Les répertoires baroque et classique, à deux vitesses, alternent splendides staccatos de tutti (Serse) et cap constant (Les Noces de Figaro), mais résistent aussi parfois à la sensualité (Così fan tutte) ou s’effritent par manque de liant (Giulio Cesare). Sébastien Billard raconte une histoire différente à chaque segment tout en maniant avec dextérité le feu d’un orchestre joueur, sensible aux plaisirs des contrechants, y compris avec le sérieux Chœur de l’Armée française.
Thibault Vicq
(Paris, 23 mars 2024)
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