Rossini rompt les premiers mois de son silence des années 1830 – après la création de son dernier opéra, Guillaume Tell – avec un Stabat Mater que lui commande un mécène espagnol. Des rebondissements quant à la maladie du compositeur et la propriété de la partition reportent à 1842 la création véritable à Paris de tous les numéros écrits de sa main. Wagner a beau rouspéter sur le caractère peu recueilli de la partition pour une œuvre religieuse, la vive théâtralité de l’écriture suscite l’engouement public.
C’est ce Stabat Mater qui a été choisi pour la première soirée de l’édition 2022 du Festival de Saint-Denis. Dans les volumes de la basilique cathédrale, l’univers musical tient davantage des remous maritimes que des jeux de masques, mais se grave une facette bien plus introspective et combattive (et tout aussi saisissante) que dans la version que nous avions entendue à la Philharmonie de Paris en 2019. Les pupitres de l’Orchestre Philharmonique de Radio France sont avant tout des molécules stables faites d’atomes crochus. Les départs et arrivées de cordes s’opèrent dans l’homogénéité la plus complète, les pizz surgissent de la pierre, les basses montent dans l’air, alors que les vents sont les vecteurs de changements de phases. Myung-Whun Chung retrouve la formation dont il a été Directeur musical de 2000 à 2015. Si le tempo garde l’évidence droite d’un gouvernail, le référentiel de musicalité est celui d’une superposition de courants gigognes, comme l’écosystème d’une étendue d’eau versatile. L’inflexion de la texture et de la chaleur se retrouve dans les dix parties de la pièce, célébrant les flux aqueux à la manière d’un livre d’images romantiques sur un radeau persévérant. Le chef définit le cadre par la mesure, et y intègre le contenu d’une boule à neige tour à tour facétieuse et sérieuse. L’Ave Verum de Mozart qui ouvre le concert utilise le même procédé de surface et d’immersion, par des ondes qui naissent et meurent dans la claire pénombre.
Le Chœur de Radio France, préparé avec passion par Lionel Sow, parvient à se démultiplier en bulles de savon enveloppantes autour de l’orchestre. Le son s’accroît dans l’affirmation d’un fil ténu, les nuances s’estompent dans l’extinction progressive d’une étincelle volubile. Le Quando corpus morietur met en musique une agglomération des mots, dans laquelle chaque nouvelle voix prend le dessus sur la précédente. Les ampoules de chant varient leur intensité lumineuse à basse consommation dans un fascinant reflet de tain en perpétuelle évolution.
Des quatre solistes, le ténor Xabier Anduaga est sans aucun doute le plus hardi. L’émission maîtrisée garde sa splendeur jusqu’au contre-ré bémol du Cujus Animam, et le maintien d’une pâte constante impressionne. Chez la mezzo Chiara Amarù, la magnifique introversion des vocalises ravit l’oreille. La ligne adhère aux notes et s’enrichit d’émotion par ces checkpoints à la saveur tonka. Les atouts de le soprano Selene Zanetti sont dans l’approche sanguine de l’instant présent et dans l’esprit de liberté porté par la phrase, ce qui ne lui facilite toutefois pas la tâche de prendre en main jusqu’au bout ses intentions dans l’Inflammatus et accensus. La puissante basse Gianluca Buratto dispose d’un sens aigu de la déclamation, et met particulièrement bien en valeur son registre grave. En revanche, les aigus serrés et la gaillardise trop systématique ne lui permettent pas de se fondre à l’océan de l’accompagnement.
Le fugato de l’Amen final n’est pourtant pas la partie la plus aboutie du concert, mais nous sortons ragaillardis de l’hydrothérapie musicale réfléchie reçue toute l’heure auparavant.
Thibault Vicq
(Saint-Denis, 31 mai 2022)
Le Festival de Saint-Denis a lieu jusqu’au 3 juillet 2022
Crédit photo (c) Thibault Vicq
01 juin 2022 | Imprimer
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