Le triomphe de The Fairy Queen par Mourad Merzouki et Les Arts Florissants à la Cité de la musique

Xl_the-fairy-queen-par-mourad-merzouki-credits-julien-gazeau-2-1068x712 © Julien Gazeau

Le lieu de la maison d’opéra a longtemps été le théâtre de mondes parallèles – les arts lyrique et chorégraphique – qui ne se touchaient guère, à part pour la participation (fugace) de ses danseurs dans un « grand opéra » ou (plus conséquente) à de rares opéras-ballets. Depuis les années 1970 (et notamment Orphée et Eurydice par Pina Bausch), les chorégraphes signent la mise en scène d’œuvres du répertoire lyrique avec un succès ne se mesurant ni d’après la sacro-sainte fidélité au livret ni à l’intégration cohérente de la danse au chant, mais plutôt à la création d’une nouvelle forme à la croisée des chemins. The Fairy Queen de Henry Purcell compte parmi ces objets par nature métissés – il consiste en une incursion de divertissements musicaux au milieu de la pièce Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, sans correspondance de personnages –, et trouve son apogée avec Les Arts Florissants et l’interprétation scénique de Mourad Merzouki, directeur du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne de 2009 à 2023.

Contrairement à certains artisans artistiques dont l’opéra n’est pas la discipline historique, l’homme de mouvements ne se laisse pas intimider par la partition et par le métier des chanteurs. Plateau vocal et danseurs ne forment qu’un seul ensemble, au respect et à la fascination mutuels. Mourad Merzouki ne se retrouve jamais dans l’impasse du compromis tiède qui consisterait à en demander le moins possible aux chanteurs par crainte de les « déconcentrer » : la collaboration multidisciplinaire guide son travail, si bien que tout le monde met la main – ou plutôt le corps – à la pâte. Il a des choses à dire en termes de mise en scène, par une chorégraphie narrative et poétique, davantage en calque librement dessiné qu’en illustration littérale. Il s’appuie sur une imagerie concrète qui laisse également deviner des émotions enfouies. On perçoit d’ailleurs le processus qu’il a suivi en se laissant découvrir le fil de la musique et la « physicalité » qu’elle pouvait requérir. Ce même cheminement se ressent en tant que spectateur, toujours prêt à s’étonner et à scinder sa perception rythmique de la danse (en ralentissements et accélérations) et son écoute en deux matériaux séparés mais miscibles. La fête et la facétie sont toujours là, pour un spectacle jouissif, qui ne rechigne pas à faire claquer les pas au-dessus de l’orchestre pour rappeler la chair et l’empathie de la partition et exacerber la ferveur de l’interprétation vocale avec la matière première de la danse.


The Fairy Queen, Philharmonie de Paris (c) Julien Gazeau

Les savoureuses chamailleries ont aussi lieu en fond de scène sous la baguette de Paul Agnew parce qu’il rappelle que l’écriture de Purcell relève du geste intérieur et de la respiration. La personnalité des différents masques (actes) s’entend sous le signe de la spontanéité du texte et de l’incarnation du spectacle vivant. Les Arts Florissants peuvent donner du mou à une escalade de fragilité dans un son sur le fil, ou adopter une attitude de profondeur immédiate puis du relâchement de la note pour insuffler des dos-d’âne et contrastes à la ligne générale.

La distribution est le dernier maillon du plaisir ultime procuré par cette Fairy Queen. Juliette Mey fait l’effet d’un rouleau bouleverseur dans son aria « O let me ever, ever weep », avec une matière divine du désespoir, Benjamin Schilperoort s’enracine pour mieux faire pousser les ramages musicaux, Hugo Herman-Wilson manie l’émission avec la même flexibilité que les syllabes nettes. Du côté des ténors, Ilja Aksionov est un prince charmant de la phrase muni d’un timbre de mousseline et d’une diversité de registres, et Rodrigo Carreto est un bâtisseur d’affect à partir d’une orfèvrerie qui ne lésine jamais sur la lumière et la longueur. Si le manque de souffle de Georgia Burashko empêche parfois l’émotion de poindre, la grande constance de Paulina Francisco et la netteté assurée de Rebecca Leggett garantissent des seconds rôles de qualité. On ne peut oublier les six danseurs (Baptiste Coppin, Samuel Florimond, Anahi Passi, Alary-Youra Ravin, Daniel Saad, Timothée Zig) de la Compagnie Käfig : début, continuité et finalité de cette production, ils entraînent leurs collègues chanteurs et le public dans un enthousiasme qui fait démarrer l’année 2024 sur les chapeaux de roue.

Thibault Vicq
(Paris, 4 janvier 2024)

The Fairy Queen, de Henry Purcell :
- à la Cité de la musique (Paris 19e) jusqu’au 6 janvier 2024
- au Palau de Les Arts Reina Sofía (Valence) le 13 janvier 2024
- à l’Auditorio Nacional de Música (Madrid) le 14 janvier 2024
- à l’Opéra de Massy les 27 et 28 janvier 2024
- à l’Opéra Royal de Versailles le 27 juin 2024
- au Teatro alla Scala (Milan) le 30 juin 2024

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