L’Enfance du Christ happe par sa douceur le Festival Berlioz de La-Côte-Saint-André

Xl_20240830.0446_festival.berlioz-bruno.moussier © Festival Berlioz - Bruno Moussier

Pourrait-on catégoriser L’Enfance du Christ en oratorio « paisible » d'Hector Berlioz ? D’une certaine manière, oui, par son langage musical sciemment archaïque, son absence de martialité, son contrepoint en fondus mélodiques. Pour l’antépénultième soirée du Festival Berlioz 2024, au Château Louis XI de La-Côte-Saint-André (cette année sous la thématique « Une jeunesse européenne »), elle résonne particulièrement dans ces attributs de douceur et de naïveté à la pureté céleste.

C’est en tout cas le parti-pris du chef Paul McCreesh avec l’Orchestre du NFM de Wrocław sur les trois grands segments de l’œuvre. Dans l’introduction du Songe d’Hérode, le fugato, bien que méthodique et foisonnant, garde sa ligne claire en une seule respiration. Dès ce commencement, on entend la volonté de la baguette à chercher la souplesse et le relais, vers un son « tartinable » à l’envi à partir d’une quantité de matière exactement contrôlée, sans excès. Les cordes continuent à entrelacer leurs lignes folles comme dans une subtile tectonique au ralenti de plaques dont les instruments à vent seraient la partie visible. La musique narrative et circonstancielle de Berlioz se loge toujours dans les détails : les musiciens laissent constamment entrevoir une couche principale et un mille-feuilles de sous-couches mouvantes, tant dans les plaintes discrètes et dans les paysages en sfumato, que dans la fluidité des demi-gammes et la facétie des modulations. La Fuite en Égypte réaffirme avec aplomb l’éloquence des articulations lourées, promptes à la concentration et à la continuité des textures. Peut-être seules menues ombres au tableau, les départs parfois revendicatifs et étroits des bois, en antagonisme trop prononcé avec le velouté fluide de leurs confrères à archet, que Paul McCreesh continue de guider dans ce flux de floraison gorgé de vie discrète. Dans L’Arrivée à Saïs, l’orchestre et sa direction confortent l’étagement raffiné de ce nuage harmonique en évolution, tel un organisme réévaluant sans cesse sa mue dans un passage de flambeau avec lui-même, y compris dans l’exquis passage chambriste à deux flûtes et harpe. Cette unité instrumentale remarquable, dans une qualité de son perpétuelle jusqu’au va-et-vient final de tenues pleines d’âme, permet de recoller les morceaux d’une œuvre composée par Berlioz en fragments séparés.

Quand Hérode exprime son inquiétude sur la pérennité de son pouvoir politique, Neal Davies construit un fil émotionnel ténu, mû par un souffle infini, dans un chant nocturne à la patte profonde et qui tient pourtant à ne pas réveiller autrui qui l’entendrait à proximité. Son souci de réalisme dans les récitatifs est rejoint par le Père de famille incarné par Ashley Riches, qui revient sur la scène iséroise un an après Les Troyens en version de concert (que nous avions entendue à l’Opéra Royal de Versailles quelques jours plus tard). Le baryton-basse dispose ses interventions en anneaux d’émission, soutenus par des onomatopées aux voyelles étoffées, rendant son personnage témoin du temps présent. Marie et Joseph trouvent en Anna Stephany et en Benjamin Appl des interprètes d’horizontalité, dont l’uniformité des choix musicaux, sans déplaire, ne colle pas nécessairement à la créativité de leurs collègues. Le ténor Laurence Kilsby utilise la voix convaincue d’un narrateur illustre au discours débordant pour acheminer les images et les faire sortir du cadre, au sein d’une phrase superbement active, attentive et surprenante. Le Chœur du NFM de Wrocław se surpasse dans son timbre céleste, dans la pluralité de ses nuances piano, dans sa diction française collective, grâce à sa préparation par Lionel Sow. L’art consommé de ne jamais chanter « plein », la capacité de mimétisme aux articulations de l’orchestre, le vibrato partagé, contribuent à intégrer les entrées successives au jeu de l’orchestre et à horizontaliser la verticalité de l’écriture. La poussière se fait terre, puis esprit.

Thibault Vicq
(La-Côte-Saint-André, 30 août 2024)

Festival Berlioz, à La-Côte-Saint-André jusqu’au 1er septembre 2024

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