L’Italienne à Alger, un triomphe à l'Opéra de Zurich

Xl_italiana-in-algeri_opernhaus-zurich_cecilia-bartoli_r_monika_rittershaus-001 © Monika Rittershaus

Cecilia Bartoli crée toujours l’événement, même quand il s’agit d’une reprise ! Quelques semaines après un Turco in Italia trépidant à l'Opéra de Monte-Carlo, la mezzo romaine fait escale à l’Opernhaus Zürich avec le chef Gianluca Capuano dans la drôlissime production de L’Italienne à Alger (par Moshe Leiser et Patrice Caurier) créée au Festival de Salzbourg. Le plaisir total ressenti devant des soirées prestigieuses comme celle-ci est à archiver dans la mémoire vive collective ! Les rouages de la machine à rire, à chanter et à jouer tournent à plein régime.


Italiana in Algeri, Opernhaus Zürich (c) Monika Rittershaus

La mise en scène, d’abord, transcende les stéréotypes dont se moque Rossini. Dès l’ouverture Elvira tente par tous les moyens de sortir de la torpeur le désir de son mari Mustafà, avant de s’abandonner dans les loukoums. Mustafà s’avère un vulgaire contrebandier à la petite semaine avec son équipe de loustics en jogging. Isabella le fait tomber avec facétie dans tous les pièges du mâle alpha pour s’unir à nouveau à Lindoro, homme à tout faire de Mustafà. Taddeo se transforme lui aussi en archétype machiste en croyant mettre le grappin sur Isabella. Celle-ci, par la même occasion, délivre de l’emprisonnement l’équipe nationale italienne de foot et ne se fait pas prier pour rappeler la mère patrie à ces sportifs, à l’aide d’une marmite de pâtes. Le duo Leiser-Caurier est expert des histoires dans l’histoire : il nous raconte le passé des personnages, il les rend autonomes et interactifs. Le comique se déroule sous toutes ses formes les plus abouties, variant les points de vue et happant le spectateur comme rarement. Les mille idées à la minute jouissent toutes d’un développement jubilatoire et réfléchi dans les fumées de chicha et les rotations de ventilateurs. Le finale de l’acte I et l’air du Pappataci en sont de flamboyants exemples.


Italiana in Algeri, Opernhaus Zürich (c) Monika Rittershaus

La direction d’acteurs aux petits oignons ne doit pas faire oublier le degré d’exception de la distribution, incroyablement malléable à la grammaire du rythme prosodique au jeu comme un métal en fusion. Entertainer de luxe, Cecilia Bartoli amène un plan de vol à la moindre de ses lignes, se niche dans le détail de toutes les souricières rossiniennes. Bloquée sur le dos d’un dromadaire ou dans un bain moussant, mobile sur un plateau scénique dont elle saisit tous les espaces de théâtre, elle use de mimiques et d’une présence devant laquelle nous ne pouvons que nous incliner. Elle chante la femme d’influence et la battante dans des nuances irisées, dans des phrases texturées. Ildar Abdrazakov hisse le ridicule de situation jusqu’au-boutiste en art absolu. Nous n’avions pas ri autant à l’opéra depuis des lustres ! La voix est un goudron sucré de puissance et porte l’authenticité du trait et du point. Nicola Alaimo, dont le récital à Pesaro l’été dernier avait déjà montré l’étendue de la palette bouffe, témoigne encore une fois de son sens inné du jeu dans le chant. Il prend le temps de décrire l’application réelle de ce que signifie le chant, et chaque note se mue en vérité générale empreinte aussi bien de sérieux que d’allégresse. Le ténor Levy Sekgapane, remplaçant au pied levé Lawrence Brownlee pour la deuxième fois sur cette série, est un éclair de vitalité, à la voix fabuleusement souple. Son Lindoro angélique émet des variations prodigieuses, au cœur de la cinétique du texte et du dévoilement des sentiments. Rebeca Olvera conjugue projection et délicatesse dans une perfection soutenue par la finesse de la mezzo Siena Licht Miller. Enfin, le coup de vent frais assumé par la ligne douce et sensible d’Ilya Altukhov est aussi emballant que le chœur maison, de nuances pleins phares et d’incarnation vraie.

Les nuances sont également la spécialité de Gianluca Capuano, qui organise un match vertueux entre les graves et les aigus de l’Orchestra La Scintilla. L’affrontement convoque un arsenal de sons lunaires, volontairement proches du désordre des intrigues amoureuses, où les contretemps ont des allures de contrechants. Le chef s’amuse avec les tempos, fignole sur mesure le fil des grandes phrases. Un son stéréo, des moyens multiples, et la garantie supplémentaire d’une soirée inoubliable !

Thibault Vicq
(Zurich, 17 mars 2022)

L’Italienne à Alger, de Gioachino Rossini, à l’Opernhaus Zürich jusqu’au 5 avril 2022

N.B. : Nadezhda Karyazina et Pietro Spagnoli chantent respectivement en alternance les rôles d’Isabella et de Mustafà

Crédit photo © Monika Rittershaus

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