Report de la saison 2020-2021 de l’Opéra de Toulon, Si j’étais roi permet de reprendre contact avec le pan lyrique de l’œuvre d’Adolphe Adam, après les représentations (et l’enregistrement) du Chalet en 2017. Si la découverte du Postillon de Lonjumeau en 2019 à l’Opéra Comique n’avait pas particulièrement éveillé en nous une passion dévorante pour lui, la partition de Si j’étais roi se situe dans une maturité – seize ans plus tard – dramaturgique où toutes les lignes orchestrales semblent être écrites comme un aquarium douillet pour la voix. La place n’est pas seulement à la virtuosité du chant, mais également à la cohérence de la façon dont s’agencent les matières. L’orientalisme indien a dans la plume d’Adolphe Adam un sillage parfumé qui se déplace, des teintes aquarelles, et une certaine stabilité, comme un papier peint harmonieux sur tapis roulant dont on se délecte de détails. Il y a une naïveté qui fait du bien dans ce qu’il considérait lui-même comme de la « petite musique » : beaucoup de barcarolles, une palette tonale apaisante et des modulations bien senties.
Le chef Robert Tuohy dirige justement l’œuvre comme un ballet d’importance capitale, en y insufflant mouvement et transparence perpétuels. La beauté et l’émotion se dessinent grâce à la répétition de courants chauds. La tempête se lit dans le calme, les articulations s’assortissent bout à bout dans un ordre du monde à la sagesse quasi-philosophique. L'ancien directeur musical de l’Opéra de Limoges reprend ainsi la même méthode enchanteresse qu’il avait employée dans sa Traviata de février dernier (Si j’étais roi a été créé un an plus tôt que l’opéra de Verdi) : l’installation d’un contexte familier sur la durée, la prise de pouvoir des levées et des notes de passage, l’amour des arpèges expressifs. Célébrons ces interprétations qui, par leur discrétion généreuse, remettent la fosse au centre du son général que devrait avoir une représentation d’opéra. Dans sa netteté, l’Orchestre de l’Opéra de Toulon s’acquitte fort bien des demandes de Robert Tuohy (sauf peut-être le triangle hâtif situé en loge latérale), trouvant la nuance de pupitre et la fluidité de discours adéquates à chaque geste, au contraire du Chœur épars et souvent à la traîne.
Le pêcheur Zéphoris et le prince Kadoor convoitent tous deux la princesse Néméa, que le premier a sauvée des eaux sans connaître son identité. Kadoor se fait passer pour le héros des flots pour obtenir la main de Néméa. Zéphoris, dépité, se morfond en écrivant dans le sable « Si j’étais Roi ! ». Le roi Moussol le prend au mot ; il l’emmène au palais (alors qu’il est inconscient) pour lui donner sa place à son réveil, le temps d’une journée au rythme de décrets et d’un conseil des ministres. Quand Zéphoris est de retour à son point de départ et à sa vie d’homme du peuple, les décisions qu’il a prises en tant que souverain ont déjoué une conspiration de Kadoor et évité une invasion ennemie. Le roi consent à unir Zéphoris et Néméa.
Marc Adam met en scène convenablement cette histoire, avec une talentueuse équipe de création, sans pour autant se soucier des thématiques qu’elle appelle. Comme à la fin des jeux Super Mario Bros, tout cela n’est qu’un rêve. Zéphoris, technicien de surface dans un musée, flashe sur une visiteuse qui tente de reproduire une peinture navale. Il s’endort et entre alors dans le monde du tableau, où les personnages prennent les traits de ses collègues du musée et de la fameuse inconnue. L’indigence théâtrale rend les dialogues parlés vraiment embarrassants et quelques duos assez impersonnels, mais le reste se tient plutôt correctement et reçoit de chaleureux applaudissements du public.
Côté voix, réjouissons-nous déjà de deux somptueux seconds rôles : Valentin Thill et Mikhael Piccone. Le premier, ténor à la diction superlative, s’impose en valeur sûre de clarté poétique et de précision phrasée. Le second, basse à la souplesse enveloppante et convaincue, fait lui aussi honneur à la langue et au chant français. Le Roi Moussol de Jean-Kristof Bouton dispose d’une chatoyante garde-robe de caractères homogènes dans tous les registres. Il conduit superbement sa ligne cajoleuse jusqu’à son terme, s’intégrant aux ancres orchestrales et au timbre de ses collègues. Nous ne pouvons en dire autant du Kadoor haché et instable de Nabil Suliman, qui malgré une voix bien projetée, peine à distribuer au public un rendu actif du rôle. La vigoureuse Armelle Khourdoïan vient quant à elle à bout des vocalises de Néméa, bien que certaines interventions aigrelettes et dénuées de swing ne tiennent pas entièrement les promesses vocales. Le chant dense et caressant de Stefan Cifolelli (Zéphoris), comme une déambulation de songe, pèche sans doute par trop d’égalité et de retenue, surtout dès qu’il se déplace en arrière-scène. En dépit de ses capacités vocales incontestables, Eleonora Deveze traduit son manque d’assurance par des aigus citronnés et une extirpation à l’unité de la phrase. Ces quelques réserves sur la distribution rejoignent peut-être le manque de direction d’acteurs. La musique d’Adam, reste cependant la reine de cette soirée.
Thibault Vicq
(Toulon, 18 novembre 2022)
Si j’étais roi, d’Adolphe Adam, à l’Opéra de Toulon jusqu’au 22 novembre 2022
19 novembre 2022 | Imprimer
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