Proche de Paris, Longjumeau est jusqu’à la moitié du XIXe siècle une étape majeure du transport hippomobile. L’acheminement de voyageurs entre deux relais, opéré par les postillons, se trouve menacé par le développement des voies ferrées dès les années 1830. Le compositeur Adolphe Adam immortalise ce métier sur le déclin dans son Postillon de Lonjumeau (sans « g »), qui triomphe à l’Opéra Comique de 1836 à 1894, ainsi que sur de nombreuses scènes européennes. La Salle Favart 2019 retrouve ainsi, comme à son habitude, une œuvre-phare de son histoire (ici en coproduction avec l’Opéra de Rouen Normandie), après l’avoir perdue de vue pendant plus de cent ans.
En situant l’action sous le règne de Louis XV, aux côtés de son intendant en charge de l’art lyrique, le livret s’autorise une mise en abyme savoureuse de l’opéra, tandis qu’irrévérence et bons mots immoraux complètent malicieusement le tableau. Cet opéra-comique a beau nager dans les conventions musicales du divertissement, il aligne les morceaux de bravoure pour ses interprètes. L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie restitue prodigieusement les courants de la partition, armé de musiciens aux petits oignons. La baguette de Sébastien Rouland trouve une récréation jusque dans les percées lyriques et les sonorités dramatiques. Le riche phrasé se trouve embelli par des équilibres défiant l’évidence, révélant une osmose évidente avec l’ouvrage.
L’imparable argument de vente du contre-ré, chanté à plusieurs reprises par le rôle-titre du postillon Chapelou (devenant le chanteur d’opéra Saint-Phar), ne passe pas inaperçu avec Michael Spyres, formidable. Si la première note tant attendue sort ironiquement trop haut, les suivantes se déploient en feux d’artifice grisants atteignant même un contre-sol dans l’air du hêtre. Le ténor américain s’amuse avec ses lignes mélodiques, dont il affronte les péripéties vocales sans dureté, le sourire aux lèvres. On connaît déjà son art de la diction française (la saison dernière dans Gounod et Meyerbeer), mais c’est sa propension à sculpter un contenu en constante transformation au sein de toutes ses interventions, qui rend sa prestation si notable. Il nourrit son timbre de forces vives et opère un dialogue subtil entre sa condition de mari un peu volage et de divo parvenu, entre son passé rustique et ses aspirations de noblesse. Florie Valiquette, tout aussi sensationnelle, joue également sur deux tableaux : les dialogues parlés distincts de Madeleine - la fille du peuple - et de Madame de Latour - la dame noble -, se réunissent en une même voix rebondie, et abondant de musicalité. La netteté imparable de la soprane gomme les moindres traits trahissant potentiellement les difficultés techniques de la partition : les idées vocales fusent, elle combat la monotonie avec ferveur dans un déluge de nuances parfumées.
Car à part d’encombrants décors kitsch fluo d’une laideur sidérante, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent au niveau scénique. Michel Fau, dont on a beaucoup apprécié le travail sur Ariane à Naxos début mars à Toulouse, s’égare ce soir en voulant mêler les techniques de représentation opératique sous Louis XV (des toiles descendant des cintres) et un second degré très pop. Les toiles en trompe-l’œil prennent tellement de place que les chanteurs (magnifiquement costumés par Christian Lacroix) sont contraints de se déplacer comme ils le peuvent dans des espaces très restreints, la plupart du temps en avant-scène. Les membres d’accentus et du Chœur de l’Opéra de Rouen Normandie (au demeurant exemplaires de texture sonore) sont confinés sur une estrade, et les protagonistes doivent rivaliser d’imagination pour utiliser la surface qui leur manque. Le cabotinage de Michel Fau en confidente Rose est conforme aux attentes, voire en-deçà (on l’a connu plus inspiré), mais les autres personnages secondaires remplissent le contrat haut la main : Franck Leguérinel campe un marquis de Corcy fantasque au jeu scénique haletant, Laurent Kubla fait preuve d’un soutien et d’un vibrato solides, et Julien Clément se grime avec dérision en une belle prosodie.
Tout le monde le sait : l’amour gagne toujours dans l’opéra-comique. Et ce soir, le raffinement de la passion musicale aura vaincu le mauvais goût (assumé) de l’esthétique scénique.
Thibault Vicq
(Paris, le 30 mars 2019)
Le Postillon de Lonjumeau, jusqu’au 9 avril 2019 à l’Opéra Comique
01 avril 2019 | Imprimer
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