Michèle Losier, conspiratrice rêvée dans La Clémence de Titus au Palais Garnier

Xl_emilie_brouchon___opera_national_de_paris-la-clemence-de-titus-20-21---emilie-brouchon---onp--22--1600px © Emilie Brouchon

La réorganisation de fin de saison de l’Opéra national de Paris aura permis à Mozart de clôturer au Palais Garnier près de deux mois musicaux très attendus. La production de Willy Decker de La Clémence de Titus – présentée à de rares reprises depuis 1997 – n’est certes pas l’événement qui fera de l’ombre au Festival d’Aix-en-Provence, mais elle constitue au Palais Garnier un pendant plus accessible pour le grand public et les touristes que Le Soulier de satin, concomitant à la réouverture des théâtres en mai.

Le metteur en scène illustre l’influence et la solitude de l’empereur Titus par une tête sculptée qui se dévoile dans la pierre au fur et à mesure de la soirée. Il fait ressortir la condition du monarque comme un cahier des charges inéluctable. La manière un tantinet statique de représenter l’opera seria paraît aujourd’hui un peu datée, surtout après avoir vu des versions beaucoup plus audacieuses, comme celle de Milo Rau au Grand Théâtre de Genève il y a quelques mois. Ce qui pèche ici, c’est notamment l’impossibilité de s’émanciper d’une simple « figuration » des arias par les personnages dans ce décor (un peu trop) réduit à l’essentiel. La longueur des interventions chantées, parfois due au da capo, n’est pas toujours gérée dans la continuité par Willy Decker, un peu comme une piste cyclable qui s’arrêterait subitement en ville. Reconnaissons cependant la ferveur de « Parto, ma tu ben mio » –  à la fin du premier acte – où le couteau fait des allers-retours indécis entre les mains de Sextus et de Vitellia, et la fonction essentielle de foule malfaisante du Chœur de l’Opéra national de Paris, extrêmement bien préparé par sa nouvelle cheffe Ching-Lien Wu.

Mark Wigglesworth travaille l’Orchestre de l’Opéra national de Paris comme le bloc de marbre du plateau. Il est fantastique d’entendre comment l’ancien directeur musical de l’English National Opera entrouvre des failles de lumière dans cette gravure en musique. La mise en place et les nuances sont sacrées ; c’est donc par les timbres et l’articulation qu’il édifie sa propre mythologie du Titus clément dans cet environnement terriblement précis et exigeant. Le chef souligne les contrechants furtifs, les courants de bois – la clarinette solo est toujours aussi superlative ! – et accompagne les détachés des cordes dans une démarche qui, si elle peut paraître trop minutieuse de prime abord, ne dévie jamais de son cap et s’avère d’une grande intelligence. Ce Mozart quasi-documentaire, traversé d’un point de vue de grandeur, est un superbe témoignage ! La séduction se transforme parfois en passion, avant d’atteindre les cimes dramatiques du Requiem. Le son horizontal et plein – sauf chez les cors et les trompettes, qui se sont donnés le mot pour mettre à mal la plupart de leurs départs –, toujours d’une pureté réfléchie, sert les voix sur un plateau, même si cela peut être à double tranchant en cas de faiblesse.

Michèle Losier est en tout cas la triomphatrice de la représentation. Sa sincérité bouleversante nous fait croire comme dans un feuilleton à son amour pour Vitellia et sa fidélité pour Titus. Les remises en doute du personnage s’accompagnent d’une technique vocale aux petits oignons et d’une vélocité fluide dans les récitatifs. Son émission cotonnée est un ciel nuageux dont elle maîtrise sur le bout des doigts la météo : l’assombrissement et l’ouverture vers la lumière ne se relâchent jamais dans la projection et surtout dans l’émotion. Quel dommage que Servilia n’apparaisse pas plus dans l’œuvre, car l’énergie jouissive qu’y apporte Anna El-Khashem n’a d’égale que la réflexion sur la métrique des vers. La basse Christian Van Horn, au noble timbre d’argent, est lui aussi un second rôle de luxe, qu’il nous tarde de réentendre la saison prochain à Paris. Vitellia bénéficie des graves pénétrants d’Amanda Majeski, qui « expérimente » cependant la phrase plus qu’elle ne la transmet. Elle construit sur la longueur avec une émotion contenue, qui mériterait parfois d’être exprimée plus franchement. C’est quand Stanislas de Barbeyrac s’élance sur ses aigus douillets que nous profitons de son phrasé arrondi et tortueux, fort d’un timbre enveloppant. Ces jolies inflexions trouvent leur limite dans un medium parfois approximatif et lorsque des éléments trop décoratifs détournent sa ligne de chant. Enfin, Jeanne Ireland semble s’ennuyer ou se débattre en Annio : les changements de notes pâtissent d’un manque de clarté – quand il ne s’agit pas de justesse –, le souffle n’a pas encore acquis une pleine confiance.

Thibault Vicq
(Paris, 6 juillet 2021)

La Clémence de Titus, de Wolfgang Amadeus Mozart, à l’Opéra national de Paris (Palais Garnier) jusqu’au 13 juillet 2021

Crédit photo (c) Emilie Brouchon

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