Nabucco cherche mise en scène désespérément à l’Opernhaus Zürich

Xl_nabucco_156.0x800 © Monika Rittershaus

La morale est-elle la meilleure des politiques ? À quoi bon expliquer une œuvre d’art ? Ces deux questions, sujets du bac de philo 2019, semblent tomber à point nommé pour la nouvelle production de Nabucco à l’Opernhaus Zürich. La première car le troisième opéra de Verdi mêle habilement vie publique et histoires de famille, mâtinées de rébellion citoyenne (voir notre dossier consacré). La seconde car le metteur en scène et directeur de l’institution suisse Andreas Homoki arrive à faire pire que son Sweeney Todd du mois de décembre, en termes de platitude et de désengagement.


Nabucco, Opéra de Zurich 2019

Il est assez peu acceptable qu’une maison en si belle santé artistique se satisfasse d’un mur amovible comme unique élément de décor pendant tout le spectacle, et qu’elle n’en fasse rien. « Je montre ce conflit comme une parabole sur le progrès », prévient-il. Ceci atteste par l'absurde des progrès scéniques depuis des années à force de tentatives plus ou moins concluantes de minimalisme provocateur ou disruptif. Ceci n’est pas un mur : ceci est l’oppression politique, la séparation des religions polythéistes et monothéistes, le témoin du soulèvement du peuple. C’est bien suffisant, car à aucun moment cette cloison n’éclaire les décisions des personnages. Plus discutable encore : plutôt que d’en faire du gruyère suisse (vaillant, goûtu, en bloc), Andreas Homoki en fait une sorte de gruyère français (à trous, insipide), que l’on franchit avec autant d’insouciance qu’une frontière de l’Union Européenne. Le chœur des Hébreux la contourne naturellement et en fait une arme, les amants se faufilent d’un côté à l’autre sans se poser de questions : un mur est inutile s’il n’empêche pas de circuler. La consternation qui s’empare de nous est comparable à celle ressentie en début de saison à l’Opéra national de Paris avec Simon Boccanegra, sur ce même principe d'objet central.


Benjamin Bernheim

Nous pourrions citer aussi les chorégraphies répétitives et la dramaturgie de pacotille, que les chanteurs doivent passer outre pour être un tant soit peu expressifs. La besogne est ardue, quoique finement exécutée. Benjamin Bernheim fait des débuts majestueux en Ismaele : il file la chair de poule dès ses premières notes et défend ce personnage délaissé par Verdi, dans une recherche musicale exemplaire. Si Fenena est affectueuse sous le timbre iodé et empathique de Veronica Simeoni, c’est l’exceptionnel Zaccaria de Georg Zeppenfeld qui remporte la majorité des suffrages parmi les seconds rôles. La basse allemande développe une ligne succulente et un souffle déterminé : il fait reculer la noire sévérité du Grand prêtre de Jérusalem au profit de la complexité de son esquisse prosodique. Au contraire, Anna Smirnova, qui campe Abigaille à la place de Catherine Naglestad, ne joue principalement que sur le versant d’aigus puissants et râclés. Ces sonorités vinaigrées ont parfois du mal à passer, d’autant plus que la présence scénique peu franche ne permet pas vraiment d’être capté par d’autres moyens que le chant. Quand surgissent les trop rares piano, cependant, nous sentons une Abigaille bien plus émouvante et verdienne. Michael Volle ne prend pas sa composition de Nabucco à la légère. La promesse d’authenticité semble le fasciner : son roi de Babylone scandé et essoufflé peut dérouter au départ, car dessinant des intonations de langage parlé comme dans du Strauss. Il associe le sacrifice de son règne à celui de sa voix, et c’est en cela qu’il apporte une modernité notable au rôle, qu’il interprète pour la première fois. La technique ne cesse de s’exprimer avec subtilité, et nous restons scotchés à cet art subtil de la résonance. Le Chœur de l’Oper Zürich, le Chorzuzüger, le Zusatschor de l’Opernhaus Zürich et le Statistenverein am Opernhaus Zürich forment une pâte homogène sans grumeaux, aux nuances variées, dans cette partition chorale impériale, même si les retards sont souvent légion. Le "Va Pensiero" est le clou de la soirée, lent, enivrant, et délivré avec beaucoup de profondeur.

Enfin, Fabio Luisi est un maître de cérémonie hors pair, soulignant avec panache les excès musicaux, mettant en exergue les contretemps et les basses pour déchaîner les passions. Le Philharmonia Zürich est un compagnon fidèle et robuste, excellant dans la rondeur de ses timbres et la passation de motifs d’un pupitre à l’autre.

Les épreuves du bac sont terminées et nous ne rendrons pas notre copie à la fin du spectacle, mais quelques doux souvenirs ne nous feront pas oublier cette production lorsque, comme les étudiants en herbe, nous irons cet été au bord de l’eau.

Thibault Vicq
(Zurich, le 29 juin 2019)

Nabucco, de G. Verdi, à l'Opernhaus Zürich jusq'au 12 juillet

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