Benjamin Bernheim avait manqué aux lyricophiles français depuis son somptueux récital à Bordeaux en janvier dernier. Et que dire de l’attente envers Olga Peretyatko, qui n’avait pas mis les pieds dans l’Hexagone depuis 2016 ! L’hiver est terminé, et les talents s’attirent à la Philharmonie pour ce récital autour du répertoire italien de Bellini à Verdi. L’exception française de Gounod s’invitera à la fête. C’est d’ailleurs ce qui convaincra le moins : Roméo manque de continuité dans les nuances et assène des forte criards, Juliette déroule une rythmique pataude de lendemain de soirée dans un français incompréhensible. Mais commencer par ces défauts de début de concert permet de donner de la force au reste de leur prestation, inhumaine de prestige.
La soprane est adepte d’un raffinement brumé, où la brillance et les halos de souffle jouent à saute-mouton sans fléchir. Parler d’attaques ou de placement de voix serait réducteur. À ce niveau d’excellence, décortiquer le pourquoi et le comment de son interprétation serait criminel. Après tout, une rose n’est belle qu’avec ses pétales. Justement, Olga Peretyatko a la nonchalance de la fleur des champs, la hauteur de la fleur d’oranger, le gage de la simplicité magnifiée. Ses cadences frétillantes, ses nuances rondes dégagent un parfum constant de bienveillance et de passion. Sans mièvrerie, elle garde la fraîcheur d’intonations souples et libres (à certains moments absolument détachées de la partition) et le piquant de la diva. La ténacité distante de Norma, la naturalité désarmante de Linda di Chamounix, la réflexivité intériorisée de Violetta, la complexité rustique de Luisa Miller, tout dépasse l’impact escompté, même si la diction reste à parfaire.
Le ténor fait l’effet d’une expérience de cinéma (avec un admirable film) : l’impression de ne plus être assis dans une salle de spectacle, l’immersion du visuel et de l’auditif, l’oubli de la conscience de soi. La chère valeur de ses dons se mesure à la capacité à lier texte et chant en trois dimensions : la déclamation des livrets comme des poèmes, la restitution des vocalises comme des matériaux divins, l’essence de personnages comme des vies à part. Le sépia des souvenirs à la photographie léchée, le saisissement de l’instant présent caméra à la main, la précision millimétrique et anticipée du plan-séquence sont autant d’exemples des images qui se créent dans notre imaginaire, en connivence avec le Dolby Surround de Benjamin Bernheim. La timidité mouillée de Nemorino inonde de radiance, le déchirement de Rodolfo se déploie boisé, l’espoir d’Alfredo se note dans les fins de phrases miellées, l’inquiétude égoïste du Duc de Mantoue élabore une mécanique à voies multiples.
Les duos remettent les pendules à zéro car les deux univers vocaux doivent se rencontrer. Si Lucia et Edgardo peinent à trouver une intensité et un phrasé vraiment mutuels, l’exécution des extraits de Verdi (et de L’Élixir d’amour en bis) est très concluante grâce à la recherche des effets de superposition des timbres. La signalisation respire la clarté, point de contresens, les feux de l’opéra sont au vert. Il suffit de citer par exemple les gruppettos du ténor, extérieurs aux tenues espacées de Gilda, mais suffisamment présents pour entrelacer le destin d’un séducteur et d’une jeune fille naÏve en quelques mesures.
L’Orchestre de chambre de Paris trouve en Giampaolo Bisanti un allié instinctif dans les contrastes et la rondeur du son. Le bel canto s’unit au bel suono : aucun pizz n’est expédié, les longueurs d’archet sont constamment redéfinies, les solos se détachent avec magie, les savants équilibres ouvrent des couleurs poignantes. En l’absence de fosse, les instrumentistes se libèrent et gazouillent en n’omettant pas l’écoute : un programme de tubes, certes, mais certainement pas un programme de cacheton dans son exécution.
Pour en revenir aux deux chanteurs, nous attendons donc l’épisode deux : les voir ensemble dans une dramaturgie filée d’opéra. À bon entendeur…
16 mai 2018 | Imprimer
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