Opéra Comique : Coronis termine en beauté sa tournée française

Xl_13_coronis_dr_stefan_brion © Stefan Brion

Une nymphe, deux dieux, un monstre marin, deux compères, un devin : voici l’imaginarium de Coronis, la dernière zarzuela de Sebastián Durón d’après (le début d’) une Métamorphose d’Ovide. La zarzuela est en quelque sorte un équivalent espagnol de l’opéra-comique français, à la différence que cette forme ibérique, possède un historique d’un siècle supplémentaire. La cour d’Espagne affectionnait les divertissements théâtraux, qui se sont peu à peu enrichis d’intermèdes musicaux au cours du XVIIe, notamment grâce aux collaborations du compositeur Juan Hidalgo et du dramaturge Pedro Calderón de la Barca. Depuis La púrpura de la rosa en 1659, les opéras de cour entièrement chantés à l’instar de Coronis sont alors chose rare. Mais l’arrivée au trône en 1700 de Philippe V, le petit-fils de Louis XIV, remplace à la couronne les Habsbourg par les Bourbon, plus au fait des productions de Lully, Campra et de l’opéra made in Italy. Le compositeur Sebastián Durón entre à la Chapelle royale de Madrid comme organiste en 1691, puis devient maître de musique en 1696. L’art servant la propagande royale, le rôle-titre de Coronis, dont le nom est phonétiquement proche du mot « couronne », choisit forcément Apollon – le dieu de la lumière, cherchez la parenté avec le Roi Soleil – plutôt que le waterproof Neptune. Cette histoire est désormais présentée à l’Opéra Comique, en conclusion d’une tournée par l’Opéra de Limoges et l’Opéra de Rouen, commencée en 2019 au théâtre de Caen.

La plus grande réussite de la soirée réside dans la restitution qu’en fait Vincent Dumestre, à la tête de son ensemble Le Poème Harmonique. L’écriture rythmique de Sebastián Durón fait parler le bois des instruments dans la matière même du son produit. Le geste géométrique du chef suggère une architecture musicale d’étendue horizontale et de gratte-ciel polyphoniques. Dans la profondeur de champ et le tranchant, la partition émerge et se révèle dans une formidable logistique métrique. Vincent Dumestre tresse les couleurs en nœuds qui structurent le spectacle mais prennent à chaque étape le pas de la plénitude harmonique. Il parvient sans peine à élaborer un fil rouge à cette succession énergisante de numéros d’inspiration populaire, de formes répandues (dont une folia vertigineuse), d’arias et de récitatifs, grâce à la connexion manifeste avec des instrumentistes mouillant le maillot.

À la mise en scène, le Colombien Omar Porras convie le théâtre de tréteaux, les jeux d’ombres et les combats de catch, la pyrotechnie et le cabaret queer sans jamais dépasser la ligne rouge du vulgaire ou du futile. C’est beau et intelligent à la fois, visuellement narratif et servi par un jeu d’acteur gargantuesque, tout en mettant en valeur la rythmique de la langue et de la musique par un mouvement synchrone. Les fantastiques lumières de Mathias Roche aident en outre à mieux plonger dans ce réjouissant univers de matériaux et d’incarnation. Seul le dernier quart, résolvant les nœuds de l’intrique, manque toutefois de panache, mais c’est uniquement par comparaison à l’implacable précision scénique du développement qui a précédé.

Si l’honorable distribution ne répond pas à 100% à l’exigence qu’on pourrait avoir au Théâtre national de l’Opéra Comique, elle rejoint cependant la donnée historique de la zarzuela baroque. Les troupes de théâtre madrilènes formaient leurs membres au chant dans une optique de complément au jeu, et non avec l’objectif d’une virtuosité à l’italienne. Le théâtre chanté prévalait sur le chant joué. De plus, les registres vocaux masculins (hors castrats) étant relégués au second plan, sauf pour donner vie à des personnages dont l’amour était sorti du quotidien (comme le vieux devin Protée dans Coronis). Les femmes menaient donc le bal, et interprétaient jusqu’aux rôles masculins. Dans la peau de la nymphe, Marie Perbost ne porte pas particulièrement la stabilité en leitmotiv, mais offre une proposition vocale qui met les pieds dans le plat, comme dans « Dioses », aria très innovante quant à ses modulations descendantes. Les agréables textures brodées d’Isabelle Druet ne sont par ailleurs pas forcément des vecteurs d’émotion, le beau style de Cyril Auvity en viendrait presque à éclipser le placement, Marielou Jacquard tend à perdre inconsciemment son tempo dans les syncopes et hémioles, quand les rares apparitions Stephan Olry tombent à côté. En revanche, on retient le vieux couple formé par Anthea Pichanick et la florissante Victoire Bunel, l’endurante Caroline Meng – adepte d’un phrasé franc et entier –, et le caméo arc-en-ciel d’Eugénie Lefebvre.

Thibault Vicq
(Paris, 15 février 2022)

Coronis, de Sebastián Durón, à l’Opéra Comique (Paris 2e) jusqu’au 17 février 2022
Enregistrement disponible chez Alpha Classics depuis le 11 février 2022

Crédit photo (c) Stefan Brion

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