Les travaux n’étant pas encore achevés pour le nouvel auditorium du Festival Perelada, les concerts se poursuivent cet été, avec des têtes d’affiche (Piotr Beczała, Yuja Wang…) en petit format et des projets mettant en avant la création, comme ce Renaissance Reloaded à l’Iglesia del Carme. Le Festival a demandé à des compositeurs catalans de moins de 40 ans des pièces pour chœur a cappella (dont certaines en création mondiale), notamment inspirées par la forme du madrigal. Chaque segment, interprété par le Chœur de chambre (Cor de cambra) du Palau de la Música Catalana, sous la direction de Júlia Sesé, revient aux fondamentaux, à la raison d’être de la polyphonie des XVIe et XVIIe siècles, c’est-à-dire à la verticalité des accords, à la prosodie spontanée et évidemment au contrepoint nés de cet effectif. Maddalena Casuana (la première femme dont les partitions ont été imprimées) et Claudio Monteverdi ont ainsi chacun droit à une incursion remarquée, grâce aux flots malicieux et aux volumes gracieux que parvient à faire exprimer la cheffe.
Xavier García Cardona entrechoque et voûte les entrées déclaratives, et fait physiquement se retourner les membres du chœur, pour modifier la miscibilité des sons. Avec un positionnement en duos de chanteurs dans la première moitié de la nef, Aurora Bauzà cherche la spatialisation, en particulier à travers la répétition successive d’une même note par chaque paire, puis dans l’élargissement du spectre de la gamme et enfin dans le jeu sur les longueurs. Malheureusement, le manque de précision des attaques et l’hétérogénéité des enchaînements empêchent l’effet escompté. Joan Magrané préfère une esthétique « du virage », dans une écriture efficace qui change de cap dès qu’elle se sent trop installée. Les mouvements descendants chez les hommes permettent par ailleurs à la polyphonie de ne jamais se tasser. Avec Anna Campmany, on en vient à l’essence narrative du madrigal, aux soubresauts de la voix humaine, dans un Si ja oblidés ma cantera très réussi par sa gourmande truculence. Carles Prat opère un léger twist de dissonances et de modulations à une base très Renaissance, avant d’entrelacer ses nombreux discours en vitraux colorés. Il a peut-être le défaut du trop-plein, de ne pas avoir suffisamment choisi ce qu’il voulait développer. Dans Intorno a due vermiglie e vaghe labbra, Helena Cánovas Parés (qui a également composé l’opéra Don Juan no existe, à l’affiche du Festival le lendemain) confie à une soliste l’étirement des temporalités du chant et l’émotion exacerbée de l’articulation, en l’opposant à l’ensemble vocal (qui, par instants se met la main devant la bouche). Les musiciens servent magnifiquement la pièce de Josep Ollé, qui intercale les registres grâce une matière égale des voix, quelle que soit la tessiture. En bis, l’adaptation de la chanson catalane El mariner par Irene Plass s’épanouit en plaines verdoyantes qui auraient pu s’apparenter à la musique américaine.
Chaque œuvre est présentée (en catalan) par son auteur ou autrice – le volume sonore du discours ne porte toutefois pas au-delà du cinquième rang – puis applaudie par le public, refusant ainsi toute continuité (et rythme) à la soirée, et ne laissant pas la réflexion infuser d’un numéro à l’autre. Ce n’est pourtant pas la qualité musicale qui manque, mais à vouloir trop expliquer, le concert en perd un peu en magie, surtout dans une acoustique aussi idoine. On se promène auditivement d’une esthétique à l’autre – malgré tout, très (voire trop) fidèle à la tradition harmonique et mélodique du modèle – sans en saisir forcément les enjeux et sans en cueillir le cœur musical. L’habillage lumineux des morceaux (par Cesc Barrachina) consiste par ailleurs davantage en un changement de couleurs qu’en une lecture dramaturgique du texte et de la partition, d’où peut-être le fait qu’on reste un peu sur sa faim à l’issue de ces soixante minutes.
Thibault Vicq
(Peralada, 7 août 2024)
Le Festival Perelada se tient à Peralada (Catalogne) jusqu’au 11 août 2024
08 août 2024 | Imprimer
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