Robert Carsen passe à côté de Cabaret pour l’ouverture du Lido2Paris

Xl_cabaret_-_lido2paris_5 © Julien Benhamou

Comédie musicale créée en 1966 à Broadway, à l’origine du film de Bob Fosse (1972), Cabaret est avant tout tirée du roman autobiographique d’apprentissage Adieu à Berlin (1939), de Christopher Isherwood, ou plutôt de ses adaptations théâtrale et cinématographique ultérieures. Clifford Bradshaw, un jeune Américain (Anglais dans le livre originel), vient tenter sa chance à Berlin en 1929, en quête d’inspiration pour sa carrière d’écrivain. Sa vie oscille entre la pension où il a élu domicile – aux côtés de la tenancière Fräulein Schneider, de la prostituée Fräulein Kost, et du marchand de fruits juif Herr Schultz –, les cours d’anglais et les services de contrebande qu’il assure à l’Allemand Ernst Ludwig, et les excès nocturnes du Kit Kat Club, lieu de liberté dans lequel se produit sa maîtresse Sally Bowles. Tout ce microcosme est touché de plein fouet par la montée du nazisme.

La fin de l’insouciance : le ton est sombre pour ce premier spectacle du Lido2Paris, renaissance du mythique lieu de revues à plumes – contraint de mettre la clé sous la porte début 2022 – désormais sous la direction artistique de Jean-Luc Choplin depuis le rachat par le groupe hôtelier Accor. L’ancien capitaine du Théâtre du Châtelet compte bien poursuivre le partage du théâtre musical avec le public parisien et international sur les Champs-Élysées. Il propose Cabaret en clin d’œil au passé du lieu, désormais sans dîner-spectacle, mais toujours avec la possibilité de se sustenter depuis son siège.

Si le nom de Robert Carsen ne dénote pas parmis les têtes d’affiche à la mise en scène des musical blockbusters du moment en Île-de-France – Tomas Jolly pour Starmania à La Seine Musicale, Alexis Michalik pour Les Producteurs au Théâtre de Paris –, le résultat s’avère en toc à force de vouloir faire du beau sans fond. Il se repose tellement sur la fine écriture de l’œuvre qu’il considère superflu d’en restituer davantage qu’une récitation. Il rate complètement les scènes collectives de cabaret, donnant la seule parole aux chorégraphies punchy de Fabian Aloise, et dépeint Sally Bowles comme une pseudo-aristo fin de dynastie. Alors que le Kit Kat Club et son maître de cérémonie (Emcee) sont censés commenter le monde réel pour en dénoncer les travers, Robert Carsen en apporte une lecture sans subversion (la très sage « Telephone Song »), petite-bourgeoise (un « Two Ladies » pétri de clichés) ou d’un goût ras-les-pâquerettes (« The Money Song » sur une cuvette de WC surplombant des lingots d’or), et capitalise peu sur l’esprit Lido. Son discours « politique » mettant en garde contre la montée de l’extrême-droite, se noie dans l’amalgame et échoue à montrer le contre-pouvoir que peut constituer le cabaret, territoire d’expression et d’expérimentation dans les derniers souffles de la République de Weimar. La dernière vidéo compile les dictateurs des XXe et XXIe siècles (au cas où on n’aurait pas compris), avec des images de rassemblements populaires jusqu’aux gilets jaunes – reste à savoir s’il considère cela comme une nouvelle dictature ou comme une résistance à l’oppression. Quelques tableaux restent cependant en mémoire, à l’instar de la maison « désossée » pour la fête de fiançailles de Fräulein Schneider et Herr Schulz – couple touchant à qui il apporte plus de contenu théâtral –, avant que ne retentisse le chant nazi « Tomorrow Belongs To Me ».

L’Orchestre du Lido2Paris, placé sous la direction musicale de Bob Broad, fait le show et le swing (malgré une sonorisation encore perfectible). Le Clifford d’Oliver Dench s’en sort bien, avec son évolution subtile du jeune États-Unien naïf et coincé vers le mondain épanoui. Malgré un enlisement psychologique (qui ne titille pas suffisamment le spectateur) dû à la mise en scène, Sam Buttery campe un Emcee fascinant par l’inquiétude latente qu’il inspire. Sally Ann Triplett (Schneider bouleversante) et Gary Milner (Schultz généreux, bien qu’en-deçà au niveau vocal) forment un magnétique couple impossible. Le charisme de Ciarán Owens et de Charlie Martin emporte également la mise, au contraire de Lizzy Connolly, dont le chant convaincant ne dépasse jamais une incarnation qui fait du sur-place. Alors oui, sa Sally n’est pas un copié-collé du rôle-phare de Liza Minnelli, mais il manque l’envahissement, les caprices, l’instabilité et l’insatisfaction de la starlette, qui rendent le personnage si attachant. Le reste des chanteurs-danseurs confirme l’importance des interprètes dans la satisfaction du public, qui à défaut de grand spectacle et de paillettes, aura eu son shot de musical et permettra au Lido2Paris de commencer une existence pérenne.

Thibault Vicq
(Paris, 2 décembre 2022)

Cabaret, de Joe Masteroff (livret), John Kander (musique) et Fred Ebb (lyrics), au Lido2Paris (Paris 8e) jusqu’au 3 février 2023

Cabaret - Lido2 Paris (2022)

Moyenne notation

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading