Rosa Feola et Raffaella Lupinacci font rayonner Les Capulet et les Montaigu à l’Opéra Royal de Wallonie

Xl_r._lupinacci_-_choeurs___j-berger_orw-lie_ge © J. Berger ORW-Liège

L’histoire d’amour des Capulet et Montaigu, entre Roméo et Juliette, « sous un angle plus politique » ? C’est ce qu’annoncent les notes d’intention du metteur en scène Allex Aguilera pour sa nouvelle production de l’œuvre de Bellini à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, dans laquelle il « espère relever avec succès » le défi d’une « nouvelle perspective ». Non seulement le spectacle ne renouvelle rien du tout, mais est désespérément dénué de point de vue. La guerre civile du livret, qui oppose les Guelfes (Capulet) et les Gibelins (Montaigu), se résume à des chœurs – les effectifs de la maison liégeoise sont consciencieux, quoique pas toujours subtils dans l’unité – fixes ne sachant pas où se placer dans une scénographie (du même Allex Aguilera) qui aurait pourtant pu porter ses fruits. Une sorte de boîte tournante (où apparaît pour la première fois Giulietta) aurait pu figurer des apartés de pouvoir ; l’eau qui ceint la plateforme inclinée aurait pu montrer les facilités pour les amants de fuir (et donc les difficultés d’honneur qui les en empêchent). Inutile de s’épancher en conditionnel, car l’indicatif le réfute. Malgré tout, la représentation se laisse regarder, grâce, notamment, aux intéressantes lumières de Luis Perdiguero et à une direction d’acteurs (la plupart du temps) correcte dans les tête-à-tête… à moins que les interprètes n’aient pris les devants. Car ce sont eux qui font la magie de ces deux heures et demie en salle.


J. Berger ORW-Liège

Le ténor Maxim Mironov fait de la ligne bellinienne un sport de glisse de haut niveau, engagé dans le velouté et dans la signification du texte. L’audace vocale et le raffinement rentre-dedans colorent tous deux l’expressivité à égale puissance. Avec Roberto Lorenzi, la matière est mise en avant pour le rôle bienfaiteur de Lorenzo, dans une coque chantée robuste et un contenu musical d’une tendresse absolue. Le Capellio affirmatif d’Adolfo Corrado fait, quant à lui, montre d’une constance complète. Mais on ne peut que s’incliner devant les deux rôles principaux, à commencer par la soprano Rosa Feola. Dès sa première intervention, avec « Eccomi in lieta vesta » et le splendide « Oh! Quante volte », c’est la chair de poule assurée. Les récitatifs ont la texture de visions tragiques, les airs magnifient en feux follets la partition. Elle dépeint sa Giulietta en pythie de musique, qui donne vie à chaque note et à chaque phrase, qui propose une lecture plurielle sans en imposer le sens. En une suite de suspensions interprétatives, les points d’interrogation qu’elle égrène servent de barque onirique à une douleur aspirant à convaincre Romeo que celui-ci n’est pas digne d’elle. Fleur empoisonnée d’un ballet au firmament d’expressivité labyrinthique et à l’insolente richesse de couleurs, elle fait s’arrêter le temps par tant de beauté vocale. L’adresse belcantiste de Raffaella Lupinacci, déjà largement remarquée dans Norma à la Monnaie en 2021, ne peut être qu’être approuvée avec Romeo, affermi de courage vainqueur et de noble grandeur. Elle inonde de plénitude et sait souligner l’importance des modulations par l’épaisseur mouvante d’une voix infaillible sur toute la tessiture. Aigus héroïques et graves décidés se placent dans la continuité d’une incroyable fluidité de timbre et d’une folle longueur d’émission, évoluant émotionnellement avec l’avancée dramatique. Le dernier tableau, dans le tombeau des Capulet, la voit ainsi endolorie, rendant le chant d’autant plus témoin du cœur, et surtout du temps qui passe.


J. Berger ORW-Liège

Le premier acte n’est pas toujours des plus flatteurs pour Maurizio Benini et l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, emmêlés dans des pulsations quelque peu divergentes (en particulier les percussions, souvent en avance). Même s’il réussit avec précision tous ses changements de tempo, le chef peine à les intégrer à un fil narratif stable. Cependant, on reconnaît un son clair et aéré, ainsi qu’une exécution ciselée, grâce à des solistes instrumentaux véritablement exposés et tous aussi forces de proposition les uns que les autres. L’accompagnement de cordes se rapproche du balancement des feuilles d’automne tombant de l’arbre. La beauté est là, mais peut-être pas la grâce. Le deuxième acte s’assortit d’un geste de baguette plus aquatique et sensuel. Les timbres s’entrechoquent par la caresse de l’archet et du souffle, tandis que le sentiment d’urgence réussit à ressortir antithétiquement de la longueur et de la résonance.

Thibault Vicq
(Liège, 19 mai 2024)

Les Capulet et les Montaigu (I Capuleti e i Montecchi), de Vincenzo Bellini, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège jusqu’au 28 mai 2024

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading