Sonya Yoncheva chante Haendel dans la Galerie des Glaces

Xl_stefan_plewniak___sonya_yoncheva_ © Thibault Vicq

Les amours lyriques de Sonya Yoncheva l’ont initialement conduite vers le Jardin des Voix (des Arts Florissants), où elle a pu s’épanouir dans le répertoire baroque. Quelques années plus tard, en 2017, elle sortait son album Handel, consacré (à une exception purcellienne près) au compositeur saxon devenu anglais. Aujourd’hui, une série de trois concerts avec l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles – sous la direction du violoniste Stefan Plewniak – recrée les vignettes affectives de ces mêmes héroïnes immortelles qu’au disque. Pour la première date, place au faste de la Galerie des Glaces, une fois la nuit tombée sur le Château…

L’inconfort résonne dans les deux premiers airs. Là où on aurait attendu une phrase perlée dans « Ombra mai fu » (Serse), la voix est trop massive et descend dans des graves presque gutturaux, sous un orchestre guère attentif aux nuances de la soprano. Cette dernière remplit toutefois les subdivisions des temps avec une liberté consolatrice, qui se trouvera malgré tout bien trop peu canalisée – on peut même parler de pilote automatique – dans « Non disperar, chi sa? » (Giulio Cesare). On a du mal à comprendre où elle veut en venir. Au recoin de chaque légato, à l’aune de chaque point, survient un nouveau caractère, éludant les ornements et accumulant les manques de cohérence musicale. Une seconde incarnation de Cleopatra (« Se pietà di me non senti ») confirme ses envies de volume sonore, qui peuvent parfois pécher sur la justesse, mais révèle une soif intarissable de recherche interprétative. À la partition de notes, elle en adjoint une d’ « états de personnage », sur laquelle elle se fraye un chemin tortueux en petits pas, coûte que coûte. On la sent même moins à l’aise de devoir restituer ces émotions en concert plutôt qu’en version scénique, un environnement dans lequel elle prend toujours possession des espaces.

En Alcina, Sonya Yoncheva trouve un terrain de jeu plus fertile à l’expérimentation heureuse. Son « Ah mio cor, schernito sei » débute en doux râles vindicatifs, elle se refuse à la phrase infinie. Écrasée par la route 66 de cordes, l’enchanteresse fait face, se confronte à elle-même, à bout de forces. La partie rapide exhibe une fierté retrouvée, et le da capo lui inspire une incroyable contorsion des longueurs rythmiques et un mécanisme d’affaissement (totalement contrôlé) du soutien. Cette fébrilité fonctionne car elle est présentée comme un fil rouge expressif. Même œuvre mais autre personnage, avec « Tornami a vagheggiar » : elle trouve tout de suite sa Morgana, constituée de voûtes et de cercles en métamorphoses permanentes.

La langue anglaise de Theodora homogénéise la ligne de la chanteuse. Elle envisage les ténèbres qui l’enveloppent comme une cape musicale dans la continuité de son corps. Stefan Plewniak privilégie dans cet extrait les différentes pousses de l’accord à l’électrocardiogramme des violons. L’obscurité grandit ainsi d’une manière similaire à la voix. L’étirement et l’adhérence chez les instrumentistes sont communs aux autres numéros. Le mécanisme qui fait se succéder la tension de l’attaque et le relâchement de la tenue appelle un millefeuille de dynamiques. Le chef respire pour la phrase à venir et en commence une autre avant d’avoir terminé la précédente. Des extrémités de segments s’agrègent en tartinades d’archets parfois tellement à la corde qu’elles s’en trouvent râpeuses, mais cette technique invite aussi les rôles à creuser encore davantage en eux-mêmes. Stefan Plewniak ne laisse pas l’auditeur sur le carreau, il lui donne une écoute active de ses turbulences consenties, dans l’œil de la tornade. Il appuie jusqu’à l’âme du violon et transperce le temps, tout en restant guide de ses interlocuteurs. Dans « Lascia ch’io pianga », il hisse des voiles brumeuses sur les mâts trop frondeurs de Sonya Yoncheva. Les accords se colorent dans un éther sonore troublant, pendant que la voix continue son cheminement morcelé, moins idoine. Attention, cependant, aux dérangeants bruits de gorge ou « de fredonnement » en cours de direction – phénomène fréquent en fosse –, surtout avec un si petit effectif.

C’est à présent l’orchestre qui abuse de son flou artistique dans la Mort de Didon (Purcell), en bis. Puis, la soprano n’oriente pas suffisamment « Tristes apprêts, pâles flambeaux » (Castor et Pollux de Rameau). Enfin, la reprise d’ « Ah mio cor, schernito sei » pour retoquer le « petit accident » (sic) qui avait lieu plus tôt pendant l’enregistrement, apporte la stabilité finale à une soirée aventureuse aux trois rappels.

Thibault Vicq
(Versailles, 7 novembre 2022)

Récital Haendel par Sonya Yoncheva et l’Orchestre de l’Opéra Royal du Château de Versailles :
- à la Chapelle de la Trinité (Lyon 2e) le 9 novembre 2022
- à La Coursive, Grand Théâtre (La Rochelle) le 13 novembre 2022

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