La deuxième (nouvelle) production de la saison 2021-2022 du Teatro alla Scala aura un peu moins fait grincer des dents que le Macbeth urbain mis en scène par Davide Livermore en décembre dernier. Pour Les Capulets et les Montaigus, la maison milanaise a fait appel à Adrian Noble, bien au courant de la « question » shakespearienne puisqu’il a été directeur artistique et administrateur général de la Royal Shakespeare Company. Et pourtant, même s’il ne se fait pas siffler au moment des saluts, on ne peut pas dire que son travail sur cette adaptation de Roméo et Juliette soit une franche réussite. Les conflits entre les deux familles de Vérone sont réduits à peau de chagrin, et les artistes chantent fixement la plupart du temps. On est bien loin du Bloody Sunday d’Irlande du Nord ou de l’ambiance années 30 qu’il cite rapidement dans ses notes d’intention. Peut-être a-t-il été décontenancé par la dramaturgie limitée du livret, sans avoir su comment prendre à bras le corps la polysémie de la superbe partition de Bellini. Les quelques saillies visuelles (Juliette en robe de mariée, une chambre décorée avec goût) ne suffisent donc pas à combler l’ennui procuré par les débuts du metteur en scène à la Scala.
La fosse est sans commune mesure. Rares sont les orchestres qui dépeignent avec autant de précision les coutures harmoniques et mélodiques, qui intègrent si bien des solos bouleversants à la dynamique de la musique. Celui du Teatro alla Scala a tout ce dont on n’ose même pas rêver, notamment lorsque la grande Speranza Scappucci est à la baguette. Remplaçant Evelino Pidò sur la production, elle choisit plutôt de faire ressentir l’agitation qui règne à Vérone que d’offrir une succession de numéros. Le procédé se joue dans des accompagnements moteurs, c’est-à-dire dans le séisme des combats de rue et le contexte psychologique dans lequel baignent les personnages. Les ostinatos tintinnabulent, les lourés chantent l’écho, les changements de tempo se mettent en place avec un amour fou. Feu aérien ou terre aquatique, les associations d’idées font naître des sonorités inouïes nimbées d’éloquence théâtrale.
Si le plateau se montre homogène – hormis le Chœur maison, assez indolent –, c’est sans conteste l’exceptionnelle Marianne Crebassa qui règne sur les voix. Rubato de compétition, souffle vainqueur, éclairage avisé de la moindre note introduisant une modulation, on ne sait plus où donner de la tête parmi les détails qui rendent son Romeo aimant si bouleversant ! Elle est égale dans tous les registres, pratique ses sauts d’intervalle avec une facilité déconcertante et conjugue une fidélité à la partition avec une conviction de la phrase qui transforme ses interventions même les plus feutrées en morceaux de bravoure. Du côté de chez Lisette Oropesa, on s’incline devant la ligne tenue contre vents et marées dans toutes les sous-couches du son, la pulpe de voix jusqu’à la dernière goutte, faisant honneur à la chaleur du doute et à l’urgence de l’expression. On arrive cependant moins à profiter de cette entièreté du style lorsqu’elle émet les notes un peu trop haut, ce qui arrive très régulièrement au cours du spectacle. Jinxu Xiaohou est un Tebaldo libre comme l’air, à l’aisance vocale et à la projection très affirmées. Jongmin Park campe un élégant Capellio aux textures vermeil, et Michele Pertusi incarne un honnête Lorenzo quoique non exempt de lourdeur.
La suite des réjouissances de la saison scaligère devrait apporter l’audace qui manquait à cet I Capuleti e i Montecchi, et conserver l’excellence musicale, avec une Thaïs mise en scène par Olivier Py et dirigée par Lorenzo Viotti !
Thibault Vicq
(Milan, 23 janvier 2022)
Crédit photo © Brescia e Amisano - Teatro alla Scala
26 janvier 2022 | Imprimer
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