L'Opéra Comique commence sa saison 2021 comme il a fini la précédente, à savoir en livestream à huis-clos, dans l’attente de pouvoir réaccueillir du public. Après un Hippolyte et Aricie échevelé (visible sur arte.tv jusqu’en mai), Olivier Mantei a de nouveau réuni une sémillante distribution et cette fois-ci dans une mise en scène digne d’intérêt, pour Titon et l’Aurore.
Cette pastorale héroïque, créée à en 1753, est due à Madame de Pompadour qui, en endossant le rôle de l’Aurore dans une œuvre en un acte devant la cour de Louis XV trois ans plus tôt, a mis ses réseaux parisiens en émoi pour que l’Académie Royale de musique (l’Opéra de Paris) ait sa version d’un opéra-ballet sur ce thème. Le très influent compositeur Mondonville gagne l’appel d’offre avec le librettiste Voisenon, dans un contexte marqué par la querelle entre opera buffa italien et style français. La partition fourmille d’idées brillantes et d’évocations rupestres, dans des superpouvoirs mélodiques et rythmiques à faire jaser les mortels. Mondonville est lui-même éminent violoniste, et cela se retrouve dans la sidérante virtuosité d’écriture pour les cordes, qui, dépourvues d’altos, affirment des contrastes faisant la météo des dieux.
William Christie et ses Arts Florissants reviennent homériques à l’Opéra Comique, six ans après les grisantes Fêtes vénitiennes de Campra. Projectiles de son et pluies de traits, sprints épiques et poignants appuis, coexistence de strates anguleuses et de courbes au poing : les fabuleux instrumentistes colorent une cocotte en papier aux mille surprises, ne laissant jamais s’échapper la luxuriance des volumes et des intentions. Le chef épate à mille à l’heure, le cours du temps et le cycle du soleil avancent en accéléré, ponctués de mordants et de trilles électrisants, jusqu’à faire prendre au simple récit des proportions dantesques. Quel tour de force que l’interprétation de cette édition critique reconstituée pour le spectacle !
Cette production Favart (coproduction des Arts Florissants et de Château de Versailles Spectacles) cultive également la polarisation entre l’auditif hyperactif et le visuel flâneur. C’est d’ailleurs ce qui en constitue la clé de voûte. Le metteur en scène Basil Twist, seul Américain diplômé de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières, fait parler les matières et s’épanouir des figurines d’argile échangistes sous l’action de Prométhée, des moutons à la pelle (et en brochette !) par les pouvoirs de Palès, et des tissus gigoteurs autour d’Éole, sous les sagaces éclairages de Jean Kalman. C’est un festival de l’étrange, où le côté terrifiant des trois Grâces (pointues) nourrit la beauté du théâtre artisanal. Le kitsch assuré des costumes sert le savoir-faire du slow movement, et les marionnettes, fonctionnelles sans tomber dans la « mignonnerie ,» résolvent en toutes circonstances les dilemmes de la mise en scène, en particulier dans les ballets, même si le dernier acte semble perdre en créativité.
Après un prologue voyant Prométhée manier le feu pour animer des personnages nés de la terre sous la caution d’Amour, le berger Titon accueille l’Aurore fugace dans le vertige des sentiments. Éole (le dieu des vents), s’est amouraché de la même femme, tandis que Palès (la déesse des bergers) a le béguin pour Titon. Colère d’Éole, vengeance de Palès. Cette dernière transforme Titon en vieillard pendant son sommeil, mais le lendemain matin, Amour accorde la jeunesse immortelle à Titon pour que les retrouvailles quotidiennes puissent ne jamais cesser.
Aux côtés d’un chœur des Arts Florissants au zénith, Reinoud Van Mechelen et Gwendoline Blondeel campent le couple impossible entre euphorie philosophique et séduction juvénile. Il trace des constellations et fait graviter la merveille de ses lignes paisibles. Elle auréole autant sa voix de sainteté qu’elle exprime la drama queen galante enfouie dans son personnage. Renato Dolcini, Prométhée aiguisé, et Julie Roset, Amour jovial, effectuent des débuts réussis salle Favart. Face à un Marc Mauillon – voir notre récente interview – irrésistiblement hyperbolique et impérial en Éole, Emmanuelle de Negri montre une fascinante palette de la nuée des affects, dans un mélange entre bouleversants sauts dans le vide et radieux élargissements de phrases. N’oublions pas les solides nymphes de Virginie Thomas, Maud Gnidzaz et Juliette Perret. Un rappel collectif au son de l’orchestre remplace les saluts silencieux : là aussi, 2021 a enclenché ses bonnes résolutions !
Thibault Vicq
(Medici.tv, 19 janvier 2021)
Titon et l’Aurore, de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, disponible en replay sur Medici.tv jusqu’au 19 avril 2021
Crédit photo © Stefan Brion
21 janvier 2021 | Imprimer
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