« Zzzzzzz », fait la roulette, qu’on entend plus qu’on ne voit lors d’une consultation dentaire. À ne pas confondre avec le bruit du sommeil, qui ne sied pas du tout à la production survitaminée du Barbier de Séville proposée pour les Fêtes par l’Opéra national de Lorraine. Créée en 2008 au Stadttheater Bern (cofinancement avec l’Ópera de Oviedo), la mise en scène espiègle de Mariame Clément est maintenant reprise à Nancy avec beaucoup d’énergie et de justesse théâtrale par Jean-Michel Criqui.
Dans un quartier résidentiel, Bartolo tient Rosina captive à l’étage de son cabinet de praticien, où les patients chétifs affluent pour montrer leurs molaires cariées et leurs bridges décollés. Le décor tournant a beau être unique, il recèle de surprises et de pièces cachées. D’abord bunker inaccessible autrement que par une maigre fenêtre ou par la porte de la salle d’attente lorsqu’Almaviva échafaude ses plans avec Figaro pour y pénétrer, il dévoile peu à peu ses espaces et ses couleurs, en même temps que l’ennui (Rosina qui s’épile les jambes ou se met du vernis à ongles) et que les tâches quotidiennes (les toilettes à réparer) induites par cette vie de banlieue trop tranquille. La boîte à merveilles ne connaît aucun temps mort, décidée à ne lésiner sur aucune exagération de comédie ou de fonctionnalité du décor. Ce spectacle est un tel modèle de direction d’acteurs, de bouffe vraiment hilarant car empreint de réalisme, d’entremêlement musique-scène, qu’on aimerait qu’il ne finisse jamais. En plus de figurer dans le palmarès des meilleures propositions de l’année, il dégage un certain optimisme sans pour autant éluder la gravité des situations. Le public ne se fait pas prier pour applaudir à tout rompre à la fin de la représentation !
Et la distribution ne plombe nullement cette joyeuse ambiance. Après La Traviata à l’Opéra de Limoges et Don Pasquale à l’Opéra de Dijon, Nico Darmanin prouve encore une fois en 2022 qu’il est un superhéros de l’opéra italien. Cependant, il refuse de se montrer intouchable : le ténor maltais reste pieds et poings liés à la musique pour suivre la ligne émotionnelle de la partition. Les notes, il les connaît, et c’est donc au-delà de la simple restitution qu’il s’aventure, en allant chercher des épanchements d’obscurité dans la grandeur aromatique de sa voix. Il juxtapose le liquoreux et le râpeux, la fluidité et la verticalité, et livre une prouesse d’incarnation et de technique, dans un typhon de maîtrise.
Gurgen Baveyan trouve le flegme gourmand de Figaro, personnage déjà victorieux avant même d’avoir œuvré. Le timbre pêchu conforte la majesté du soutien, l’enrobage donne une orientation continue à la projection. Le timbre iodé et corsé de Patricia Nolz apporte beaucoup de substance à Rosina, dont la puissance et la précision, accompagnées d’une orientation minutieuse de la phrase, se comprennent comme le fruit d’un long entraînement solitaire dans la chambre de la jeune fille. Si Bruno Taddia paraît un peu « brouillon-chiffon » au début de l’acte I, c’est pour mieux coller à l’impatience et à la névrose de Bartolo, qu’il interprète par la suite talentueusement avec tout ce qu’il faut de rythme prosodique. Le pince-sans-rire Dario Russo et la luxuriante Marion Lebègue achèvent de contenter notre envie de chant et de comédie. Le Chœur de l’Opéra national de Lorraine trouve quant à lui une ambivalence entre légèreté et stratification, se fondant comme un caméléon aux différentes situations de ses interventions.
Le chef Sebastiano Rolli, qu’on avait pourtant immensément apprécié chez Verdi, a vraiment un coup de mou sur Rossini. L’ouverture flagada ralentit encore et encore, si bien qu’il doit reprendre le tempo aux reprises et à chaque nouvelle phrase. Dans la suite, il tasse les sonorités en un espace fixe au lieu de modifier la topologie des atmosphères musicales. On ne lui reproche pas tant de proposer des alliages de timbres ou de rechercher comment la matière rossinienne peut s’étendre, mais plutôt d’aller à l’encontre de l’écriture pétillante en abusant de dentelle nappée. Le Barbier de Séville n’est pas Pelléas et Mélisande ! L’acte II fait naître plus de facétie – grâce également à un Orchestre de l’Opéra national de Lorraine plutôt volontaire, et à un claveciniste superlatif (Raffaele Cortesi, au continuo) –, toujours dénuée de la dynamique qu’on aurait espérée à l’image des outils mouvementés du praticien dentiste.
Thibault Vicq
(Nancy, 18 décembre 2022)
Le Barbier de Séville, de Gioachino Rossini, à l’Opéra national de Lorraine jusqu’au 23 décembre 2022
19 décembre 2022 | Imprimer
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