Les coups de théâtre ne manquent jamais, chaque été au Verbier Festival. Il y a les changements de programme, comme ce soir la transformation du concerto pour piano de Mozart initialement prévu pour la première partie, en Concerto de Schumann, ainsi que la suppression de l’Ave verum corpus. Le cœur du concert demeure cependant le Requiem de Mozart, inchangé. Il y a aussi les (luxueux) remplacements d’artistes : et là, ce sont Kirill Gerstein (au clavier) et Sir Simon Rattle qui prennent la place d’András Schiff. Il y a par ailleurs les conditions météorologiques, plus ou moins difficiles à prévoir dans les hauteurs alpines. Un déluge de l’enfer sur fond de tonnerre grognon s’abat sur l’immense tente de la Salle des Combins pendant la première partie, couvrant par grandes vagues le son duveteux du Verbier Festival Chamber Orchestra, qui joue la détente et l’impulsion dans un riche encéphalogramme drapé. Simon Rattle, imperturbable, poursuit ses envoûtants mélanges de timbres cosy et aménagements multiples des chevauchements instrumentaux, pendant que le pianiste Kirill Gerstein reste englué dans une interprétation uniformément fade, au flux ininterrompu, n’accordant que peu d’attention aux captivants rebondissements harmoniques.
Dans le Requiem, le chef pousse le curseur du présent souverain encore plus loin : la musique s’entend comme un divin amoncellement de dynamiques convergentes « du moment », où les silences ne sont jamais sous-estimés. Les nets changements de tempo placent instantanément dans le contexte, tandis que les harmonies et la rythmie se fusionnent en un magma nacré, fort d’ornements assumés mais justifiés, là où d’autres baguettes auraient suscité la dispersion. La partition devient une réaction en chaîne d’événements ponctuels qui, mis bout à bout, tissent un maillage raffiné, étonnant, créateur d’images mentales et de sensations puissantes. Il faut bien sûr créditer à cet exploit l’alchimie du Verbier Festival Chamber Orchestra, admirablement synchronisé dans ses débuts et fins de phrases, ainsi que dans ses vitesses d’archets. L’Introitus forme un mikado chaloupé, le Dies Irae tourbillonnant fait sublimement perdre pied, le Lacrimosa offre une magistrale résonance emphatique des appoggiatures aux cordes et une poignante avancée par paliers.
Rencontre avec Stanislas de Barbeyrac : « L’opéra doit intégrer le public dès la porte d’entrée pour proposer un concept complet »
Le choc orchestral ne saurait être séparé de son entente totale avec le Münchener Bach-Chor, n’appelant que louanges par son illustration concrète de la séparation des mortels et des âmes. La pâte vocale n’est qu’élévation et perspectives, pureté et palette multicolore. Le Kyrie est une quintessence de simplicité, un contrepoint né de la résonance générale. Les chanteurs solistes paraîtraient presque trop corrects devant ces murs mouvants de souffle et de dextérité, à part la réconfortante soprano Ying Fang, qui déploie de généreuses nuances sur une échelle graduelle vers l’horizon, et se fond aux matières instrumentales dans une belle économie de vibrato. Si Stanislas de Barbeyrac (qu’on a interviewé à Verbier la veille de la représentation) emploie une intelligence de l’émission, du soutien et de la chaude rondeur, la fluidité vient parfois à manquer. La profondeur d’Alexandros Stavrakakis se fait d’abord sentir, notamment dans un Recordare le faisant élégamment marcher sur l’eau, avant de perdre en mordant. Les lignes contraintes de Magdalena Kožená entraînent quant à elles sans doute un peu trop de retenue. Qu’importe, la raison d’être de ce Requiem se trouvait surtout dans sa magnificence d’une rencontre de dernière minute.
Thibault Vicq
(Verbier, 20 juillet 2022)
Le Verbier Festival (en Suisse) se tient jusqu’au 31 juillet 2022
Crédit photo (c) Agnieszka Biolik
23 juillet 2022 | Imprimer
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