Un stimulant Barbier de Séville d’interprètes à l’Opéra de Lille

Xl_le_barbier_de_se__ville__simon_gosselin_22 © Simon Gosselin

« Piano, pianissimo », chuchote le chœur juste après l’ouverture boute-en-train du Barbier de Séville. Mais ces sages conseils sont vains, tant le public sait déjà que la suite de l’œuvre sera un déluge de rires et de situations rocambolesques, d’autant plus dans la version de Jean-François Sivadier, créée en 2013 à l’Opéra de Lille (et reprise aujourd’hui par Véronique Timsit). On ne peut qu’être d’accord avec les mots si justes du metteur en scène dans sa note d’intention, à savoir que « l’épreuve qui attend Almaviva est celle du théâtre même » et que Rossini est « une fête délirante, à la fois vaine et essentielle », « pour rien, pour le plaisir, jusqu’à l’épuisement ».

Le plateau devient un organisme vivant, un corps qui se transforme à travers de splendides lumières (Philippe Berthomé), qui se colore de ses pétulants costumes (Virginie Gervaise), qui se nourrit de théâtre, mais engloutit peut-être trop ses interprètes par ses espaces trop grands pour eux. Car malgré mille idées à la seconde, le premier acte souffre de quelques raccords manqués entre les scènes, d’un statisme des récitatifs, et sans doute aussi d’un zeste de folie et de caractère(s) qui auraient permis à ce Barbier de clamer haut et fort ses excès. La comédie s’assume, bien menée, parfois avec des gags un poil répétitifs (l’éternuement de Berta, la danse sur les arias), jusqu’à en devenir routinière. Si cet état « presque en vie » perd sa chair au bout d’une demi-heure à cause d’une non-identification des enjeux (notamment l’espace même d’enfermement de Rosina), à la lumière d’un jeu au présent, il est rattrapé par une deuxième partie plus pêchue, où la créativité des placements emporte l’adhésion.

Le Barbier de Séville - Opéra de Lille (2025) (c) Simon Gosselin
Le Barbier de Séville - Opéra de Lille (2025) (c) Simon Gosselin

Dans cette lecture qui se repose sur l’énergie des interprètes, la partie orchestrale devient heureusement, avec Diego Ceretta, une rampe de lancement en haute définition, ouverte à la récréation permanente. Déjà, l’hallucinant éventail de nuances, l’articulation de groupe et le fil sinueux des relais restent l’apanage d’un Orchestre National de Lille au sommet de ses moyens. Mais la touche que le chef en propose repose sur un point de vue mélodique, sur une ligne à part, toujours identifiable au-dessus d’une machine instrumentale autonome. Ni en horlogerie ni en hystérie, son Rossini semble de prime abord très cartésien, alors que sous un aspect très homogène, il se déploie en matières d’un autre monde, comme soumis à des principes architecturaux infaillibles, défendus collectivement. Les accords d’accompagnement et les sonorités parcellaires, sont amenés sur la base de leur fonction motrice, sont énonciateurs d’une véritable histoire, maîtrisent à 100% leur rubato, et donnent aux chanteurs l’élan qu’il faut pour livrer en confiance les performances dont ils sont capables.

Le Barbier de Séville - Opéra de Lille (2025) (c) Simon Gosselin
Le Barbier de Séville - Opéra de Lille (2025) (c) Simon Gosselin

Ce qui interpelle le plus dans l’Almaviva de César Cortés, c’est en effet la compétence de la voix, le fait qu’elle soit particulièrement à sa place dans ce rôle. Le légato cognac s’allie à une conviction profonde, et pourtant, elle semble trop distante par rapport à la lettre, presque chétive lorsqu’il s’agit d’explorer ou d’ajouter du piquant à la ligne, de surcroît dans les récitatifs. Il faut dire qu’avec la pile électrique, ou plutôt la jubilatoire tornade, qu’est Alessandro Luongo en Figaro (comme au Macerata Opera Festival il y a deux ans), l’ennui n’est jamais envisageable ! Il personnifie ces fameux excès qu’on aurait attendus dans la mise en scène, en les enveloppant dans un phrasé fantasmagorique de rhétorique galvanisante. Omar Montanari dépeint Bartolo en vieux renard pétri de certitudes, concrétisées en une constellation de notes ultra-précises et d’onomatopées prêtes à érupter de son volcan intérieur. Dont acte, avec son stupéfiant  « A un dottor de la mia sorte ».

Le Basiliio trop mielleux et uniforme de Vazgen Gazaryan peine à faire décoller le buffa de son personnage, et la projection homogène d’Andreea Soare (Berta) se heurte à des aigus parfois aléatoires. Thibault de Damas campe un discret et efficace Fiorello, et le Chœur d’hommes de l’Opéra de Lille, concentre son dynamisme en des interventions très confiantes (par moments, au I, au point qu’elles prennent de l’avance vis-à-vis de l’orchestre).

La formidable Deepa Johnny est l’étoile ultime de ce Barbier. Constante splendeur du timbre et flexible insolence de l’articulation musicale se passent la balle pour illustrer la psyché d’une Rosina pleine d’idéaux, restée trop longtemps à l’écart du monde. La moindre phrase lui fait croquer à pleines dents, lui déroulant le tapis rouge à un espace de liberté rossinien dans lequel on pourra à coup sûr la retrouver ces prochaines années.

Thibault Vicq
(Lille, 27 février 2025)

Le Barbier de Séville, de Gioachino Rossini, à l’Opéra de Lille jusqu’au 10 mars 2025

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