Un très efficace Didon et Énée à l’Opéra Royal de Versailles

Xl_didon___enee-107_-_franck_putigny © Franck Putigny

En 2023, Château de Versailles Spectacles s’est doté de l’ « Académie de l’Opéra Royal », structure d’opéra studio pour chanteurs, instrumentistes et danseurs. Didon et Énée, première production de la saison lyrique, intègre donc les jeunes pousses à la distribution de solistes, menée par Sonya Yoncheva, dans une mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek, créée il y a dix ans à l’Opéra de Rouen Normandie. Sur cette lecture de « féerie visuelle », pour citer notre collègue qui en avait alors rendu compte, nous serions sans doute un peu plus mesurés aujourd’hui. Certes, le duo d’artistes fait du plateau une sorte de toile d’idées, toujours en mouvement, convoquant parfois des poses stéréotypées pour cristalliser habilement des tableaux vivants, laissant carte blanche à des acrobates pour habiller les interludes instrumentaux (dont certains, de Purcell, mais non issus de Dido & Æneas, ont été ajoutés par le directeur musical Stefan Plewniak) et enrichir l’action sans la surcharger. Si le jeu d’équilibriste demeure assez dangereux en raison d’un mauvais goût esthétique assez généralisé, nous ne pouvons que saluer la signification constamment inoculée à l’action, et l’utilisation complète des éléments de décor. L’efficacité du dispositif, en somme.

Pour la direction de l’Orchestre de l’Opéra Royal par Stefan Plewniak, nous parlerions même d’immersion, d’association directe à la lettre musicale. Son violon impulse un catalogue d’attaques de la corde, dans tous les intermédiaires entre la griffure superficielle de chaton et l’élongation langoureuse d’un chant de sirène. Il s’avère indubitablement illustrateur exact des substances concoctées sur la partition, et nous lui savons gré de ne pas se reposer sur des assises de tempo (et plutôt d’imaginer l’œuvre en une progression perpétuelle interdite de ralentissement). Le flux ne se bloque à nul moment dans une horlogerie trop calibrée, et la phrase demeure vivante, puisque Stefan Plewniak nous prouve que Purcell a encore beaucoup de musique à nous apprendre. Le drama des accords puise, comme le reste de son interprétation avec des instrumentistes incisifs et pleinement engagés, dans la grammaire de la scène et de l’effet. Arracher, gratter, murmurer, alpaguer, et autant de manifestes de spontanéité et de ballet endiablé (malgré des danseurs pas toujours très coordonnés, sur des chorégraphies indigentes), toutefois précisément attentifs aux intentions des chanteurs, et en premier lieu du Chœur de l’Opéra Royal, merveille véloce de syllabes et de matériaux nobles aux masques multiples.

Dido & Aeneas - Opéra Royal du Château de Versailles (oct. 2024) (Production - Versailles, france)
Dido & Aeneas - Opéra Royal du Château de Versailles (oct. 2024) (Production - Versailles, france)

La première génération de l’Académie de l’Opéra Royal compte déjà de belles pointures dans ses rangs : Lili Aymonino et son art du souffle, Arnaud Gluck et son timbre cotonneux et douillet, voire les parfaitement appariées Pauline Gaillard et Yara Kasti, dans leur sens du théâtre par la voix. La Belinda agile et extensible de Sarah Charles se pare quant à elle d’un vibrato de toute beauté. La présence vocale la plus sidérante de la jeune compagnie se trouve du côté du ténor Attila Varga-Tóth, révélation éblouissante dans la sculpture des registres de la Sorcière et du Marin. L’Énée d’Halidou Nombre souffre malheureusement la comparaison avec ses camarades, tant le placement s’égare et la ligne s’empâte, malgré une élégante ampleur projective. Alors oui, Sonya Yoncheva est peut-être la star de la soirée, mais elle s’intègre complètement, avec ses magnifiques moyens, à l’énergie de troupe. La moindre émission touche une impression de temps étendu, de profondeur de tenue, aux confins de l’improvisation aquatique. Les notes racontent et s’exposent, et les graves cuirassés apportent un enracinement à un dense déploiement d’inflexions. La mort de Didon, mâtinée d’une douleur quasi-simpliste aux humbles ornementations, opère le tour de force de conclure sa prestation en évidence de comptine, dans un seul et même mouvement de musique.

Thibault Vicq
(Versailles, 18 octobre 2024)

Didon et Énée, de Henry Purcell :
- avec Château de Versailles Spectacles (Opéra Royal) jusqu’au 20 octobre 2024
- en version de concert à l’Auditorio Nacional de Música (Madrid) le 24 octobre 2024
- en version de concert à l’Auditorio Príncipe Felipe (Oviedo) le 26 octobre 2024

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