Un Trouvère d’experts au Teatro Real de Madrid

Xl_trovatore_7375 © (c) Javier del Real

De Paris à Monaco, tous les chemins mènent à Madrid. Ce Trouvère au Teatro Real réunit des valeurs sûres du chant verdien suite à la création de la même production à l’Opéra de Monte-Carlo en avril 2017, dont notre confrère Emmanuel Andrieu avait porté aux nues les attributs vocaux. Leonora (Maria Agresta) et Manrico (Francesco Meli) sont restés les mêmes, tandis que pour le Comte di Luna (Ludovic Tézier), Azucena (Ekaterina Semenchuk) et Ferrando (Roberto Tagliavini), il faut voir du côté de la Bastille en 2016, où la distribution d’un autre Trouvère avait enchanté Alain Duault. Le succès de notre soirée madrilène confirme en tout cas que l’agrégation de stars ne nuit nullement à la qualité de l’ensemble.


Le Trouvère, Teatro Real ; © Javier del Real

Ludovic Tézier soulève des montagnes. Le placement, l’intensité et les nuances ne sont plus des indicateurs, mais une texture élargie à de sublimes cieux sonores. Sa performance prête à l’émerveillement, de la tenue sans faille à l’implication scénique. Il transfigure l’œuvre dans sa manière de rassembler dans chaque note la longévité d’un cri contre le destin et l’accablement d’un homme terrassé par la rancœur. Son très attendu « Il balen del suo sorriso » du deuxième acte est un triomphe, dans la science du dosage musical et affectif.

Francesco Meli, deuxième phénomène de la soirée, n’est jamais là où on l’attend : glorieux dans l’intime, souple dans la désespérance, il met à profit un art du nappage enveloppant par le biais de ses fantastiques ailes vocales, tout en grimpant sans mal jusqu’au contre-ut. Les airs de l’acte III démontrent l’ampleur d’une technique vocale époustouflante. Le concours de pianississimi qu’il entame avec Ekaterina Semenchuk dans « Se m'ami ancor ... Ai nostri monti » nous plonge dans une sidération totale. Il faut dire que la mezzo, après un début de représentation un peu hésitant, enchaîne les actes de bravoure étincelants, via des graves crémeux et un jeu habité. La versatilité du vibrato lui facilite la création d’un magnifique paysage expressif ponctué d’explosions empaquetées. 


Le Trouvère, Teatro Real ; © Javier del Real

Maria Agresta semble avoir un peu trop la tête dans le guidon des héroïnes verdiennes, à force d’en interpréter, et cela empêche sa prestation plus qu’honnête de tutoyer les cimes. Nous restons happés par les arrondis rêveurs de son timbre incandescent, et suivons passionnément les tournures féeriques de ses lignes mélodiques. Nous tiquons sur les vocalises mal fagotées, et les aigus compressés, ainsi que sur la mauvaise habitude à ne pas garder le tempo.

Même avec de grands chanteurs, le public mérite mieux que la mise en scène indigente de Francisco Negrín, qui ressasse avec beaucoup de lourdeur les tares traumatiques des personnages. Ces derniers sont relégués au second plan pour que la mort soit mise sur le devant de la scène (le chœur dense, notamment, que nous avons connu moins en retard). Dommage, car l’imbrication ingénieuse des plateformes dans la perspective augurait un bien meilleur rendu. L’interpénétration des couches instrumentales est quant à elle magistrale sous la baguette de Maurizio Benini. Le maestro met les voix à nu, minimisant l’apport volumique dans les airs. Cette relation au son transforme l’accompagnement en une mélodie insidieuse hantant les âmes éperdues que sont ces protagonistes maudits. Les passages plus dynamiques privilégient des cordes haletantes et serrées, ainsi que des cuivres charnus – l’Orchestre Titulaire du Teatro Real est grandement accompli –, comme une locomotive garantissant mouvement et vitesse.

Ainsi s’achève sous une belle étoile une Semana de la Ópera bien remplie au Teatro Real, entre retransmissions gratuites d’ouvrages lyriques de Verdi (dont ce Trouvère, le 6 juillet dernier dans toute l’Espagne et en Facebook live), journée portes ouvertes et ateliers de costumes pour les enfants.

Thibault Vicq
(Madrid, le 13 juillet 2019)

Le Trouvère, de Giuseppe Verdi, jusqu’au 25 juillet 2019 au Teatro Real (Madrid)
À noter : autres distributions avec Artur Ruciński / Dimitri Platanias (Comte di Luna), Piero Pretti (Manrico), Marie-Nicole Lemieux / Marina Prudenskaya (Azucena) et Hibla Gerzmava / Lianna Haroutounian (Leonora).

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